le 1er juin, 2023, Auvergne
Décidément, ce Benoît XVI, pape émérite décédé, unique à plus d’un titre dans l’histoire de l’église catholique, était loin d’être un imbécile ...
( terme que je ne devrais pas utiliser ! Je me suis fait gronder par ma petite fille de 7 ans qui étudie à l’école en français maintenant et m’a dit que c’était un gros mot, quand je lui ai dit excédée : arrête de faire l’imbécile! )
Je viens de lire ce commentaire qu’il a fait sur un certain Justin, martyre au deuxième siècle, grand amoureux de la philosophie grecque, et tout à coup je comprends cette alliance entre la philosophie grecque et le christianisme qui a conduit à ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui le christianisme occidental et même la pensée occidentale inclus celle dite laïque…
Révélation fascinante pour moi qui a toujours voulu plaider la cause d’un christianisme débarrassé de ses racines européennes et de l’affirmation que l’on rencontre partout, du christianisme comme une religion « occidentale » alors qu’elle est née au Moyen orient et s’est développée sur le sol africain autant que européen ( soit romain) à son origine… et qui par surcroît n’est pas du tout l’invention de Paul, comme on se plaît à le répéter dans certains cercles…
Justin relu par Benoît XVI
Bref, voilà ce que m’a révélé la lecture de ces quelques extraits de ce texte de Benoît XVI sur la pensée de Justin…pardon St Justin...après tout il était martyre..
"Dans celles-ci, Justin entend illustrer avant tout le projet divin de la création et du salut qui s'accomplit en Jésus Christ, le Logos, c'est-à-dire le Verbe éternel, la raison éternelle, la Raison créatrice.
Donc ce fameux passage sur le Logos de l’évangile de Jean, n’est pas interprété comme parole créatrice mais comme « Raison créatrice » avec un R majuscule ! Intéressant !
"Chaque homme, en tant que créature rationnelle, participe au Logos, porte en lui le "germe" et peut accueillir les lumières de la vérité. Ainsi, le même Logos, qui s'est révélé comme dans une figure prophétique aux juifs dans la Loi antique, s'est manifesté partiellement, comme dans des "germes de vérité", également dans la philosophie grecque."
Alors je retrouve ici la définition de l’être humain comme « une créature rationnelle » tellement utilisée particulièrement pour mépriser, les africains qui eux soit-disant n’étaient très rationnels… Justin, selon Benoît XVI, va très loin et met la philosophie grecque sur le même plan que la révélation de l’Ancien Testament :
Et il dit que ces deux réalités, l'Ancien Testament et la philosophie grecque, sont comme les deux voies qui mènent au Christ, au Logos. Voilà pourquoi la philosophie grecque ne peut s'opposer à la vérité évangélique, et les chrétiens peuvent y puiser avec confiance, comme à un bien propre.
La compatibilité de la philosophie grecque avec le christianisme énoncée ici est fondamentale car elle a fait que l’interprétation du christianisme a emprunté les catégories de pensée de celle-ci pour se dire pendant les siècles à venir et de plus, a élevé « la raison » au statut de preuve et de moyen valide pour trouver la vérité « chrétienne » (ce que je ne savais pas, mais qui m’aide à comprendre la manière dont les dogmes ont été construits particulièrement celui de la Trinité). Il explique aussi comment la pensée juive a été reléguée au deuxième plan car elle n’était plus nécessaire pour expliquer le « mystère de la foi en Jésus Christ » ou même de son identité.
En y pensant, d’un côté je peux reconnaître que cette affirmation a favorisé l’étude et le raisonnement philosophique comme l’atteste la création des centres d’études académiques comme l’ont été les grandes universités du Moyen âge (avec toutes leurs limites bien entendu.) Dans ce sens les idées de Justin ont été une chance pour le christianisme car elles n’ont ni frustrées ni interdites les études philosophiques quand l’église a exercé son autorité sur la vie culturelle en Europe. ( Il est dommage qu’il n’y ait pas eu de grand texte similaire sur la connaissance scientifique qui ait empêché que l’église s’oppose si souvent à ses découvertes et ses déclarations)
Par contre, elle a voué aux gémonies la pensée dite « païenne » qui relevait du mythe et de la coutume, y n’y a trouvé aucune valeur de vérité la considérant comme démoniaque. Il faut dire que Justin comme d’autres ont été condamnés à mort pour refuser de sacrifier aux divinités païennes même si c’était plus un test de leur loyauté envers le pouvoir politique impérial plutôt qu’une caution de ces divinités... mais de la part de Justin, son élévation de la pensée grecque pourrait aussi venir d’une attitude qui reflétait la mentalité de l’élite romaine envers une pensée venant des peuples « barbares » considérés comme inférieurs.
« Dans l'ensemble, la figure et l'œuvre de Justin marquent le choix décidé de l'Église antique pour la philosophie, la raison, plutôt que pour la religion des païens. […] Ils estimaient qu'elle était une idolâtrie, au risque d'être taxés d'"impiété" et d'"athéisme » Justin en particulier, notamment dans sa première Apologie, conduisit une critique implacable à l'égard de la religion païenne et de ses mythes, qu'il considérait comme des "fausses routes" diaboliques sur le chemin de la vérité »
Voilà qui m’éclaire…
et je ne peux m’empêcher d’y voir l’attitude de mépris toujours de mise au 19ème siècle des anthropologues européens qui, quand ils sont partis à la découverte du monde, ont vu dans la pensée mythique des peuples, une absence de raison qui attestait de leur infériorité, car opposée à la pensée raisonnable. Elle m’aide à comprendre aujourd’hui encore la difficulté de l’église à discerner les chemins de vérité dans des cultures qui ne sont pas issues de la pensée européenne occidentale…
Paul versus Justin
Pourtant, Paul, ( l’apôtre) n’a pas du tout laissé entendre ni encore moins prôné ce genre de conception de la vérité chrétienne.
« Frères alors que les juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les nations païennes mais puissance de Dieu, sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, car la folie de Dieu est plus sage que les hommes. » ( 1 Corinthiens : 21-25)
Pas d’apologie ici de la raison, qu’elle soit la Raison Créatrice avec une majuscule ou pas...il faut dire aussi que le prologue à l’évangile de Jean n’avait pas été écrit non plus...
(Évidemment, le contexte était différent : le but de Justin était de défendre la religion chrétienne naissante, auprès de ceux qui y voyaient une secte dangereuse, cannibale et irrationnelle).
Mais Paul est encore plus surprenant quand il admet que les païens peuvent avoir la loi de Dieu dans leur cœur, au même titre que les juifs qui eux l’ont eu sur des tablettes
« quand les païens qui n’ont pas la loi font naturellement ce que prescrit la loi, ils sont eux qui n’ont point la loi, une loi pour eux-mêmes. Ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leurs cœurs, leur conscience en rendant témoignage et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tout » Romains 2 : 12-15
Paul, montre bien qu’il n’était pas un philosophe grec comme Justin mais que sa pensée était bien judaïque… quant à Benoît XVI, il montre lui, son appartenance à la grande tradition de la philosophie et théologie européenne où les allemands se sont si souvent illustrés...
* * *
Cette lecture de Justin mais encore plus du commentaire et de l’explication si claire de Benoît XVI lève pour moi le voile sur le pourquoi et le comment, cette fameuse pensée occidentale tellement décriée par les uns et défendue avec acharnement par les autres, est devenue si prépondérante et a permis la venue du règne de la Raison qui s’est développée par la suite au détriment de la foi en Dieu. Mais en même temps elle permet aussi de montrer qu’elle n’est pas Révélation et donc essentielle et nécessaire au message de l’évangile qui est bien au-delà des catégories philosophiques et culturelles dans lequel on voudrait l’enfermer, comme le montre bien les affirmations de l’apôtre Paul.
C’est pourquoi la pensée post-moderne, relativiste etc... ( il y a beaucoup d’autres termes pour dénoter les courants actuels) qui a détrôné la Raison (créatrice ou pas) et qui a du même coup dénoncé la domination de la culture européenne dite chrétienne, n’est pas du tout un danger pour l’avenir du christianisme ( pour l’hégémonie européenne, si, mais les deux ne sont pas liés), contrairement à ce que l’on peut lire sur tous ces sites qui se lamentent et s’affolent de la perte de l’influence de la culture chrétienne( française ici) et veulent opérer un retour à une culture et une société débarrassée de tous ses apports « non européens » : on comprend tous ce que ça veut dire...
Je salue donc Paul qui affirme :
« nous nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les nations païennes mais puissance de Dieu, sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, car la folie de Dieu est plus sage que les hommes. »
On est tous renvoyés dos à dos par une telle déclaration…
N.B Pour aller plus loin : le texte complet de Benoît XVI sur le sujet https://levangileauquotidien.org/FR/display-saint/2d08615a-9967-4104-8f2c-23a65e43180f