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Mariage: une mère et un fils, portrait intime

Une mère et son fils : portrait intime


 

30 Novembre 2022, en Virginie, USA


 

On vient de célébrer la fête de thanksgiving, la seule qui ne soit pas devenue une fête de la consommation, même si on y mange beaucoup et que ses origines ne sont pas si innocentes que cela. Si elle est propre aux États Unis, il y en a d’autres qui sont universelles, ce sont les mariages…


 

Jean 2 : 1-5


 

Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là,

et Jésus fut aussi invité aux noces avec ses disciples.

Le vin ayant manqué, la mère de Jésus lui dit: Ils n'ont plus de vin.

Jésus lui répondit: Femme, qu'y a-t-il entre moi et toi? Mon heure n'est pas encore venue.

Sa mère dit aux serviteurs: Faites ce qu'il vous dira.


 

Un mariage comme les autres ?


 

Après nous avoir fait monté au ciel avec son prologue et donné l’idée d’un récit mystique, désincarné, spiritualisé à mort et juste après le récit de la constitution d’un groupe de disciples pour accompagner Jésus, la première chose qui nous est raconté est que Jésus les emmène avec lui à une fête de mariage… de quoi nous déboussoler nous et peut-être aussi les contemporains de Jésus ! Qu’il aille avec ses disciples à un mariage n’est pas vraiment étonnant, mais pour les premiers chrétiens ceux qui n’avaient pas connu Jésus en personne, cet épisode de fête de mariage a dû être difficile à avaler pour eux qui étaient en train de vivre une époque de persécution...peut-être aussi pour les disciples de Jean qui lui jeûnait et ne buvait pas d’alcool….est-ce pour cela que cet épisode est totalement absent des autres évangiles canoniques ?


 

Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là,

et Jésus fut aussi invité aux noces avec ses disciples.


 

Comme toujours, on n’est pas obligé de prendre au pied de la lettre les indications de temps ( mais on peut le faire si on le désire, ça ne change rien à la suite de l’histoire) ce qui peut-être important de comprendre c’est que ça s’est passé tout de suite après que Jésus ait commencé à avoir un petit groupe de disciples. Que Jésus soit invité avec ses disciples à un mariage où était convié sa mère, n’a rien d’ anormal ni d’étonnant pour les contemporains de Jésus, seuls les exégètes d’aujourd’hui ont besoin de se poser des questions pour savoir si c’était un voisin de la famille ou au contraire un parent et comment se fait-il aussi que ses disciples aient été invités… car toute personne qui vit au sud du pourtour méditerranéen ne trouverait rien d’étrange à que soient invités à un mariage, les amis des amis ou des proches.

 

Il est intéressant de noter ici que les disciples qui l’ont accompagné ne sont pas nommés ce qui a été fait précédemment : peut-être que Pierre n’y était pas ( il aurait pu très bien refuser l’invitation ou en être empêché) ce qui pourrait aussi expliquer que cet épisode n’est pas raconté dans l’évangile de Marc ni dans aucun autre évangile non plus...

 

Évidemment, que la mère de Jésus soit aussi présente attire notre attention, car elle n’est pas mentionnée avant, contrairement aux autres évangiles, étant donné que les circonstances de la naissance de Jésus sont passées sous silence. La généalogie de Jésus ici, qui n’en est pas une commence à la Genèse « Au commencement » et ce début a tendance à nous aveugler en nous empêchant de voir ce que pourtant il affirme, « et le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » ce qui concrètement parlant signifie que Jésus était aussi un homme ordinaire et appartenait à une famille.


 

Le vin ayant manqué, la mère de Jésus lui dit: Ils n'ont plus de vin.

Jésus lui répondit: Femme, qu'y a-t-il entre moi et toi? Mon heure n'est pas encore venue.


 

Il faut le dire tout de suite...cet échange rapporté entre Jésus et sa mère a fait couler beaucoup d’encre à cause de l’importance théologique que Marie a pris par la suite et la place qu’elle continue à occuper dans l’église catholique mais aussi orthodoxe, place qui lui est contestée dans les milieux protestants et évangéliques… et aussi parce que Jésus n’y fait pas preuve d’amabilité… C’est dommage car quand on lit cet échange, on n’y trouve rien qui ne soit naturel … et c’est donc en tant que mère ( et pas théologienne) qui a aidé à organiser des mariages ( ceux de mes enfants mais aussi ceux d’amies) que moi je lis ce passage.


 

D’abord que Marie se soit rendue compte qu’il manquait du vin n’a rien d’étonnant ...

 

( ça aurait pu être autre chose, c’est tellement difficile de calculer combien de nourriture il faut avoir pour une grande fête, on a toujours peur qu’il n’y en ait pas assez...comme moi la veille de Thanksgiving qui ait été tout d’un coup prise de panique en me demandant si la dinde que j’avais achetée ne serait pas trop petite… elle ne l’était pas, on mange encore les restes)

 

Essayer de se demander comme l’ont fait certains, comment Marie était au courant de ce manque me semble un exercice vain. Les femmes s’entraident dans des circonstances semblables et savent quand il manque quelque chose à manger ou à boire même si ce sont plutôt les hommes qui sont chargés du vin…. (et semble-t-il, ils avaient mal calculé et étaient trop occupés à festoyer pour remarquer quoi que ce soit !)


 

la mère de Jésus lui dit: Ils n'ont plus de vin.

 

Un échange naturel mais qui en dit long sur la relation de Jésus et de sa mère : Marie s’adresse à son fils mettant en relief l’absence du père ( que l’on imagine décédé) dont il assume le rôle et fait appel à lui en donnant une information qui est une manière à peine déguisée de lui dire d’intervenir. À Jésus, homme adulte qui a peut-être même déjà quitté le domicile familial pour commencer sa vie de prédicateur itinérant, elle ne va pas donner un ordre direct. La réponse de Jésus montrera bien qu’il n’est pas dupe et qu’il comprend qu’elle lui demande d’intervenir.

 

La question que l’on peut se poser et que de nombreux exégètes et théologiens se sont posés et est-ce que ça signifie qu’elle lui demandait de faire un miracle...de changer l’eau en vin ? Personne ne peut répondre à cette question, ce qui est sûr c’est qu’elle avait suffisamment confiance en lui pour penser qu’il trouverait une solution sinon elle ne le lui aurait pas signalé .

 


 

Jésus lui répondit: Femme, qu'y a-t-il entre moi et toi? Mon heure n'est pas encore venue.


 

Cette phrase aussi a fait couler beaucoup d’encre et a été l’occasion d’analyses linguistiques pointues pour qualifier la valeur du mot grec traduit en français par « femme » qui donne un ton peu respectueux à l’adresse de Jésus ( ce que certains contestent) mais qui est certainement souligné par sa question qui remet en cause la légitimité ou le droit de sa mère à lui faire une telle requête.

(Pas de maman chérie ou adorée, un Jésus qui ne dit pas oui à sa maman et ne lui parle pas gentiment, c’est troublant et va à l’encontre de l’image bisounours que l’on se fait de lui…que l’on soit ou pas un fan de Marie...)

 

On ne peut pas nier en tout cas, que la réponse de Jésus à sa mère fasse preuve d’agacement et ne suscite pas son enthousiasme même si on hésiterait à dire qu’il l’envoie balader ( en tout cas dans les traductions que j’ai pu lire) . Pourtant son refus n’est pas gratuit, il n’est pas dû à un caprice de sa part ou à une saute d’humeur injustifiée : son explication est du même ordre que celle qui est citée dans l’évangile de Luc du Jésus pré adolescent à ses parents. Pour ceux qui ne connaissent pas l’anecdote elle nous renvoie au moment où Jésus répond à ses parents inquiets qui l’avaient cherché pendant trois jours et le retrouve en train de discuter avec les scribes dans le temple :

 

"Quand ses parents le virent, ils furent frappés d'étonnement, et sa mère lui dit: «Mon enfant, pourquoi as-tu agi ainsi avec nous? Ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse.» Il leur dit: «Pourquoi me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'occupe des affaires de mon Père?» Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait "

 

Nous non plus, on ne comprend pas bien sa réaction : par contre, cette fois-ci, Marie ne semble pas se formaliser de la réaction quand il lui répond :


 

Mon heure n'est pas encore venue.


 

Cette explication change tout car avec elle on passe d’une échange naturel entre une mère qui fait appel à la bonne volonté d’un fils et use de l’ascendant qu’elle a sur lui pour lui demander une faveur, à un autre niveau, à une autre histoire, celle d’un homme que Dieu a destiné à une mission exceptionnelle et à qui a été le donné le nom de Jésus pour en signifier le sens (Sauveur).

 

Il semble bien donc avec cette explication que Jésus fait allusion à quelque chose que tous les deux, savent : il n’est pas n’importe qui, il a été appelé à devenir Quelqu’un, peu importe le terme particulier que Marie a retenu, mais ce Quelqu’un, un jour ou l’autre se révélera être appelé à jouer un rôle majeur dans la vie du peuple juif. Peut-être que le fait même que Jésus vient de s'entourer d' un groupe de disciples a fait croire à Marie justement que « son heure était venue »…


 

 Sa mère dit aux serviteurs: Faites ce qu'il vous dira.


 

En tout cas, la réaction de Marie à la réponse négative de son fils est notable car elle ne se laisse pas démonter: c’est la réaction d’une mère qui connaît suffisamment bien son fils pour savoir que même s’il refuse en un premier temps, il prendra le temps de la réflexion et pourra revenir sur sa décision. Et contrairement à beaucoup de mères que je connais, elle montre un profond respect envers son fils adulte : elle ne le supplie pas, ne lui fait pas des longs discours remplis de reproches pour l’obliger à faire sa volonté.

 

( un de mes enfants disait toujours non quand je lui demandais de faire quelque chose mais finalement le faisait, par contre celui qui disait oui, ne le faisait pas…) ,

 

Marie est une mère qui n’est ni timorée, ni passive ( et c’est dommage qu’on la représente ainsi) semblable à la femme syro-phénicienne qu’on rencontre dans l’évangile de Marc et qui n’hésite pas à argumenter avec Jésus quand il semble refuser au premier abord sa requête de chasser un démon de sa fille.

 

« Elle le pria de chasser le démon hors de sa fille. Jésus lui dit:Laisse d'abord les enfants se rassasier; car il n'est pas bien de prendre le pain des enfants, et de le jeter aux petits chiens. Oui, Seigneur, lui répondit-elle, mais les petits chiens, sous la table, mangent les miettes des enfants. Alors il lui dit: à cause de cette parole, va, le démon est sorti de ta fille »


 

Marie connaît son fils et en plus croit en lui au sens fort du terme même si je m’interdis de définir ce que théologiquement parlant ça peut vouloir dire. Elle prend un risque énorme en disant aux serviteurs de faire ce qu’il dira et en même temps, très habilement met Jésus au pied du mur.

 

(Ça ne l’empêchera pas certainement de se poser des questions quand son fils sera condamné et crucifié, mais elle se comportera aussi comme toutes les femmes que j’ai rencontrées dans les prisons : on n’ abandonne pas un fils même s’il est condamné à mort et honni de tous)


 

Le miracle iconique va donc se produire et l’eau se changera en vin,


 

* * *


 

Les détails du reste de l’histoire, me sont tellement familiers que je ne veux pas les aborder pour l’instant, toute mon attention est retenue par cet échange entre mère et fils à l’occasion d’un mariage où les préoccupations de la mère autant que la réaction de son fils m’ont paru compréhensibles une fois que l’on dépoussière l’épisode et on le débarrasse de tous ses enjeux et interprétations théologiques… En tant que femme, je m’y retrouve...


 

Cette scène aussi me permet de découvrir le visage de celui qui l’a rapportée : un intime de Jésus. Seul quelqu’un qui se trouvait là juste à coté d’eux aurait pu être témoin de la scène, les autres invités ne se sont certainement pas rendus compte de ce qui se passait comme c’est toujours le cas dans des fêtes comme celles-ci. Autant avec l’évangile de Marc on avait l’impression d’un rapporteur qui gardait Jésus à distance et où se dessinait derrière le visage de Pierre, source principale selon certains de ce qui y est rapporté, autant ici ce n’est pas un Pierre qui se dessine, un homme bourru et réservé, peu enclin aux épanchements, mais un tout autre homme, sentimental, sensible, artistique dont la tradition parle comme du disciple aimé…


 

Quant au visage de Jésus ? il est vraiment descendu du trône du prologue (« et le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ») et redevient accessible, un de nos semblables. Dans cet épisode, d’ailleurs il ressemble au Jésus de Marc qui n’est pas toujours aussi aimable ( selon les critères de la bienséance sociale) qu’on souhaiterait qu’il le soit. Il n’en reste pas moins énigmatique et cet évangile nous donne l’opportunité de le redécouvrir à travers les yeux d’un intime.

 

Et quoi de plus intime que Jésus en face à face avec sa mère Marie !


 

N.B Pour aller plus loin : Cet article résume les interprétations faites de la réponse de Jésus à Marie et conteste que sa réponse ait été un refus. WILLIAMS, R. H. (1997). The Mother of Jesus at Cana: A Social-Science Interpretation of John 2:1-12. The Catholic Biblical Quarterly, 59(4), 679–692. http://www.jstor.org/stable/43723111

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