le 21 janvier 2025, la Virginie ( il fait -16 !)
Eh oui,
C’était il y a tout juste une semaine le 15 janvier à Washington, avant cette fameuse inauguration, que j’ai attendu plus d’une heure dans le froid ( -5 ) devant la porte du « district court » (tribunal ) de la ville de Washington pour pouvoir y pénétrer : elle était gardée par un policier ( noir comme la majorité des effectifs de police à Washington ) qui ne laissait les gens entrer qu’au compte-goutte car comme dans les aéroports, on devait passer par un portail de sécurité avec obligation de sortir de ses poches ou de son sac son smartphone, sa montre etc... etc...
Dans la queue qui s’allongeait au fur et à mesure, il y avait des gens de tout âge, y compris des enfants dans des poussettes et des nourrissons dont on voyait à peine la tête sortir du manteau de la personne qui les serrait contre leur poitrine pour les protéger du froid.., les uns étaient venus pour prêter serment, dernière étape de leur naturalisation de citoyen américain, les autres ( comme moi) les accompagnaient dans cette cérémonie solennelle après un parcours du combattant qui avait duré souvent plusieurs années…Mais à la même heure comme devaient entrer aussi des employés du lieu et des jurés de différents procès qui se tenaient dans des salles du même bâtiment..ça n’en finissait pas...
Bref… on a fini par pouvoir y entrer et trouver au 6ème étage la salle réservée pour la cérémonie : elle était tapissée des portraits des juges de la cour suprême avec les sièges du centre numérotés et réservés aux futurs citoyens et sur les côtés, ceux pour leurs amis ou membres de leur famille..
Ils étaient plus d’une centaine ce jour là et leur tenue trahissait quelquefois leur pays d’origine (j’ai vu quelques femmes habillées dans la tenue traditionnelle éthiopienne ) mais si toutes les femmes étaient venus dans leurs plus beaux atours, bien peignées et maquillées pour l’occasion, les hommes eux, étaient plutôt habillés sobrement en complet cravate... une ou deux personnes âgées étaient arrivées en chaise roulante.. Tous, en tout cas avaient l’air inquiet et sérieux : ils n’y croyaient pas encore… surtout avec toutes les consignes données sur l’interdiction de prendre des photos et d’utilisation du portable, leur faisant craindre qu’au dernier moment ils pourraient ne pas avoir le fameux sésame qu’ils attendaient depuis longtemps.
Le maître de cérémonie, personnage affable et haut en couleur a commencé à s’adresser à la foule créant une ambiance rappelant celle des églises afro-américianes avec sa manière d’haranguer la foule pour qu’elle réponde avec enthousiasme aux questions qu’il leur posait, leur faisant répéter plusieurs fois comment souhaiter la bienvenue au juge quand il ferait son entrée dans la salle et qu’ils devraient tous se lever.
( I did not hear you, come on... you can do better than that...now you sound like you mean it ...etc…)
Il était conscient de leur nervosité et cherchait à les mettre à l'aise mais je ne suis pas sûre que les personnes présentes pouvaient vraiment apprécier ce qu’il faisait … Il a terminé ses explications sur le déroulement de la cérémonie en leur disant que pour l’instant, ils étaient tous ses frères et sœurs mais qu’après la cérémonie, ils seraient ses frères et sœurs américains…
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Finalement, le juge ( tout blanc lui) est arrivé, l’hymne national a retenti et des discours ont été prononcés : par une invitée du juge, recteur d’une université et le juge lui-même. La teneur de leur discours était le même et contrastait certainement avec la conception française de la citoyenneté : aucune mention de nécessité d’intégration, au contraire, un encouragement à garder leurs coutumes et leurs traditions, considérées comme un enrichissement de la société américaine rendue plus forte par des générations successives d’immigrants qui ont chacune apporté leurs talents et leurs savoir faire pour construire une grande nation. ( tous les deux ont signalé qu’ils étaient issus de l’immigration plus ou moins récente de leurs parents ou grand-parents)
(Pourtant la teneur du serment qu’ils ont dû prononcer, utilise des termes très forts car ils doivent jurer de renoncer à toute allégeance à un autre pays, prince, nation etc.. : " I absolutely and entirely renounce and abjure all allegiance and fidelity to any foreign prince, potentate, state, or sovereignty, of whom or which I have heretofore been a subject or citizen…" Pourtant dans les faits la binationalité est reconnue, et on n’exige jamais qu’ils redonnent leur passeport étranger, c’est pourquoi le juge a voulu en tempérer la valeur en précisant qu’il avait été écrit en 1776 quand les États Unis venaient juste d’acquérir leur indépendance de l’Angleterre... )
Avent donc de prêter serment, un des clercs a fait l’appel lisant la longue liste des personnes qui devaient répondre « present » à l’énoncé de leur nom et de leur nationalité d’origine. Selon l’information donnée, il y avait 40 pays représentés, en tête, numériquement parlant, étaient les éthiopiens et en deuxième place les salvadoriens…
( J’ai entendu très peu de pays européens, quelques allemands, un ou deux hollandais, une espagnole, et une française, mais aussi un australien, un chinois et des philippins .)
Toujours est- il qu’après avoir répété les phrases du serment, ils ont devenus officiellement citoyens américains. Ils étaient maintenant soulagés et se sont félicités mutuellement sous les applaudissements du public. Et pour couronner le tout, le maître des cérémonies a annoncé qu’ils avaient le droit maintenant d’utiliser leur smartphone et de faire des photos..pour la remise de leur certificat de nationalité, signé par le président sortant, Biden, avec une lettre de bienvenue...
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Évidemment, à l’extérieur de ce bâtiment, étaient prêts à être installés chaises et barricades pour l’inauguration du nouveau président qui avait promis une déportation massive des immigrants illégaux (11 millions à peu près) … et dont la cérémonie prévue dehors n’avait pas encore été annulée. Mais bien sûr à l’intérieur, tous étaient conscients de cette réalité qui rendait ce moment d’autant plus important pour les participants d’avoir obtenu leur statut de citoyen.
D’ailleurs les orateurs ont y bien fait plus qu’allusion particulièrement l’oratrice qui étant une invitée n’avait pas une obligation de réserve, contrairement au juge qui présidait la cérémonie . Elle ne s’en est d’ailleurs pas privée en faisant l’éloge du président Carter qui venait de mourir centenaire et de ses qualités morales d’intégrité tant dans sa vie privée que politique… soulignant ses initiatives en faveur des citoyens victimes de discrimination, sa promotion avant l’heure des énergies renouvelables, ses actions pour la paix dans le monde ( le traité de paix de 1979 au Moyen Orient) et sa bénévolence envers les pays voisins , en léguant le canal de Panama au gouvernement Panaméen… tout ce que Trump n’est pas et oppose …
Elle a donc encouragé les nouveaux citoyens à utiliser leurs droits et leur pouvoir pour assurer que les valeurs américaines d’égalité, de justice et de liberté pour tous, continuent à perdurer malgré la venue d’un nouveau président autoritaire anti-immigrant et expansionniste, …
Dans cette salle, entre ses murs, à une semaine de l’inauguration, dans cette ville de Washington prête à gérer la logistique énorme et compliquée, c’était l’Amérique rêvée et idéalisée qui était à l’honneur, celle qui a attiré des milliers d’immigrants à travers le monde… celle du poème gravé sur la statue de la liberté à l’entrée de New York :
"Keep, ancient lands, your storied pomp!" cries she
With silent lips « Give me your tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore.
Send these, the homeless, tempest-tost to me,
I lift my lamp beside the golden door!"
* * *
On aurait tort malgré tout de croire que l’Amérique représentée par Donald Trump est une nouveauté : malgré son ADN d’immigrants, elle a connu des époques où la porte a été fermée à double tour pour des groupes entiers de personnes, dont le plus connu est le « Chinese exclusion act » signé en 1882…(et révoqué depuis..)
Bref, il y a plus d’une Amérique, celle rêvée et désirée comme celle haïe et dénigrée ( comme il y a plus d’une France, d’une Colombie, d’un Japon etc.)
mais avant tout, il y a surtout des gens, comme vous et moi…
(certains comme moi, ont un pied ici et un pied là-bas et essaient de jongler avec leurs différentes identités, tout en voulant rester fidèle à leurs valeurs morales fondamentales comme aimer son prochain comme soi-même, par exemple)
Alors, à nous de jouer !