Guyot Marchant — La Danse macabre. Paris, Guy Marchant, 1486. Paris. BnF (Réserve des Livres rares et précieux). Danse macabre de Guyot Marchant, 1486
Le 9 septembre 2022,
Madame se meurt ! Madame est morte !
Ces exclamations, non, ne concernent pas la mort d’Élizabeth II, contrairement à ce qu’on pourrait penser, car la date n’est pas le 8 septembre 2022 , mais le 21 juin 1670…. Une autre grande de ce monde s’éteignait, mais contrairement à cette souveraine âgée de 96 ans dont la mort etait préparée depuis longtemps...celle-ci aussi membre d’une famille royale, Henriette d’Angleterre ( une autre britannique) femme du duc d’Orleans, frère du roi, n’avait que 26 ans !
Evidemment, il n’y avait pas les réseaux sociaux et l’internet ni même la radio et la télévision et si l’imprimerie avait été inventée depuis deux siècles, le quotidien de masse n’existait pas ... mais il y avait d’autres moyens de communication et la nouvelle de son décès s’est répandu comme une trainée de poudre dans le tout Paris de l’époque et a occupé les esprits, si l’on en croit le sieur Bossuet dans sa fameuse « oraison funèbre ».
« Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille ? Au premier bruit d’un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts ; on trouve tout consterné, excepté le cœur de cette princesse. Partout on entend des cris ; partout on voit la douleur et le désespoir, et l’image de la mort. Le Roi, la Reine, Monsieur, toute la Cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré ; et il me semble que je vois l’accomplissement de cette parole du prophète : Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d’étonnement »
(Comme vous voyez, plus ça change, plus c’est la même chose)
Mais évidemment, ce que ne mentionnera pas Bossuet, est qu’il y aura bien des rumeurs qui se répandront autour de sa mort, surtout que dans son cas, n’ayant pas fait le vœu de chasteté ( ni de fidélité semble-t-il car elle était mariée) durant sa courte vie, certains soupçonnèrent qu’elle ait pu être empoisonnée...comme quoi , les familles royales et leur progéniture ont toujours défrayé la chronique et suscité une fascination et une curiosité jamais assouvie.
En tous cas, comme aujourd’hui, les grands de ce monde avaient leur aumônier attitré, dont le rôle était censé les conseiller ou plutôt les absoudre de toutes les fautes qu’ils commettaient pour les rassurer qu’ils iraient quand même au paradis... s’ils donnaient un pécule conséquent à l’église…. (rien à voir avec le Jean Baptiste que l’on est en train d’étudier qui s’est fait coupé la tête à cause de son franc parler selon les textes des évangiles, et au moins mis à mort selon l’historien juif Flavius Josèphe).
Bossuet faisait donc partie de cette caste ecclésiastique privilégiée et fortunée dénoncée dans les écrits de Blaise Pascal ( Les Provinciales, 1656) qui lui ne s'est pas fait assassiner mais a connu l’exil ( il est quand même mort jeune à 39 ans)
Bref...c’est Bossuet qui a donc prononcé ce fameux sermon, ou « Oraison funèbre » exemple nous disait-on d’une éloquence admirable, quand on l’’etudiait en cours de littérature du XVII ème siècle ( je me demande si maintenant avec l’obsession pour la laicité on l’étudie encore) où il s’exclamait : Madame se meurt Madame est morte !
Alors pour la reine d’Angleterre, Elizabeth II, il n’y aura pas de Bossuet mais l’évêque de Canterbury dont on scrutera tous les aspects de l’homélie le jour des funérailles ( je n’aimerais pas être à sa place et devoir préparer un sermon qui sera entendu par probablement des millions de personnes...mais après tout, il ne crève pas la faim et est payé pour ça) et en tout cas, même si elle n’était pas une sainte , ( ça n’existe pas dans l’église anglicane, de toutes façons. ) on peut quand même dire qu’elle a donné un témoignage exceptionnel tout au long de sa vie ( on la disait très croyante) où le terme de « service public » voulait dire quelque chose.
Il faut donc s’attendre à ce que le blitz médiatique continue et que les hommages à cette reine décédée se repaissent dans le superlatif et l’hyperbole. Mais en plus si elle, n’a pas été l’objet de scandale, ce n’est pas le cas de sa progéniture, en commençant pas son fils et sa belle fille le nouveau roi Charles III et reine Camilla dont on connaît les amours adultères, et comme aux funérailles toute la famille est conviée les tabloïds ( les magazines people dit-on en bon français avec l’accent) britanniques mais aussi du monde entier auront de quoi s’en donner à cœur joie et auront matière a remplir leurs colonnes et alimenter leurs comptes Twitter et autres pour les semaines et mois à venir… Pas besoin de regarder des émissions de télé réalité ni de voir des téléfilms tous les ingrédients sont là dans un genre où les funérailles sont toujours des scènes où l'on atteint une sorte de paroxysme dans le déroulement de l’histoire…
Mais éloignons nous de tout ce fracas médiatique
Et revenons à Bossuet ou même avant Bossuet, à cette époque bénie et incomprise du Moyen âge ( que j’affectionne particulièrement), où la mort des grands était vue différemment si l’on en croit les nombreuses gravures et peintures représentées dans les églises…comme celles de la danse macabre où même le pape est dépouillé de ses atours dans l'image qui illustre cette chronique. (Une des dix-sept gravures sur bois de la « Danse macabre du cloître des Saints-Innocents » à Paris. Publiées en 1485 par deux éditeurs parisiens, Guyot Marchant et Verard, elles furent diffusées dans toute l'Europe )
Le peuple qui lui, avait trimé toute sa vie, avait tendance à se réjouir quand les grands mouraient car eux avaient eu plutôt tendance à les opprimer, en se disant...maintenant ils vont avoir leur dû car devant la mort on est tous égaux. C’était donc une leçon d’égalité qui était prêchée au moment de leurs morts.
Et pour en attester, car à une époque où le peuple n’avait pas accès à l’écrit, les gens s’exprimaient à travers les chansons, citons celle du roi Dagobert, qui fait encore rire les enfants et dont le premier couplet commence ainsi :
C’est le roi Dagobet qui a mis sa culotte à l’envers,
et le bon st Éloi oui dit O mon roi, votre Majesté est mal culotté,
C’est vrai lui dit le roi
Qu’on me la remette a l’endroit….
Mais si ce n’est que le premier couplet que l’on connaît, les derniers en valent la peine car ils font eux preuve d’une théologie chrétienne bien éloignée de celles des aumôniers des cours royales:
Le bon roi Dagobert
Craignait d´aller en enfer
Le grand Saint Eloi lui dit :
"O mon Roi, Je crois bien, ma foi
Que vous irez tout droit"
"C´est vrai, lui dit le roi,
Ne veux-tu pas prier pour moi?"
Quand Dagobert mourut
Le Diable aussitôt accourut.
Le grand Saint Eloi lui dit :
"O mon Roi, Satan va passer
Faut vous confesser"
"Hélas!, lui dit le roi,
Ne pourrais-tu mourir pour moi?"
Eh bien non ! Il ne peut pas !
La morale de l’histoire ?
C’est pas « devant la mort, on est tous égaux » car les conditions dans lesquelles on meurt varient énormément selon sa position sociale et ses moyens financiers, mais « après la mort on est tous égaux » et quels que soient les hommages de discours grandiloquents et dithyrambiques qui sont et seront prononcés pour rendre hommage à la reine Elizabeth seul Dieu peut la juger avec équité…
Une consolation ?
Peut-être !
L’occasion, dans cette folie médiatique de la surenchère, de garder un regard plus serein sur la mort de cette reine.
"il nous faut raison garder" comme disait une sentence dont l'origine remonterait à Aristote.
N.B. Pour lire tout le texte de l’Oraison funèbre de Bossuet, voilà un lien : https://fr.m.wikisource.org/wiki/Oraisons_fun%C3%A8bres_(Bossuet)/Henriette_Anne_d%E2%80%99Angleterre,_Duchesse_d%E2%80%99Orl%C3%A9ans