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Jean le Baptiste: le témoin énigmatique

Du 24 août au 8 septembre, 2022

 

 

Digression

 

Décidément, j’ai du mal à avancer avec cet évangile : c’est le personnage de « Jean le Baptiste » qui me fait buter maintenant et la question que soulèvent des exégètes/chercheurs aujourd’hui : Jean Baptiste (ou le baptiseur) a-t-il reconnu Jésus comme Celui dont il préparait la venue et les paroles qu’on lui attribue dans le texte de cet évangile sont-elles vraiment de lui et n’auraient-elles pas été mises dans sa bouche délibérément pour faire taire la polémique qui aurait continué  à exister entre ses disciples et ceux de Jésus ?

 

Évidemment, on devrait dire humblement qu’on ne peut pas le savoir...ce qui fait problème ici, n’est pas particulièrement la méfiance des exégètes envers un Jésus trop exalté et donc trop divin ( ce qui est quand même sous-jacent) c’est le fait qu’effectivement, on a dans l’évangile de Mathieu, un passage où  le Jean emprisonné , se met à douter que Jésus soit « celui qu’il attendait :

 

 Jean, qui avait entendu parler dans sa prison des oeuvres du Christ, envoya ses disciples pour lui dire : Es-tu celui qui vient ou devons-nous en attendre un autre ? Jésus leur répondit : Allez, rapportez à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent ; les lépreux sont rendus purs, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et l'évangile est annoncé aux pauvres ; et bienheureux quiconque ne sera pas scandalisé à mon sujet » (Matt. 11 : 2-6)

 

Selon donc certains, Jean n’aurait pas pu faire les affirmations sur l'identité de Jésus qui sont faites dans les échanges rapportés dans le texte de Jean….et quelque temps après douter...

 

A titre personnel , il me semble que cette question vient de personnes qui n’ont jamais été emprisonnées… et ne comprennent pas que quand on est dans un cachot , on peut être en proie à toute sorte de doutes du genre, « Dieu pourquoi m’as tu abandonné » et remettre en cause le sens de ce qu’on a cru comprendre, ou entendre dire… surtout quand ce sont des expériences extra -sensorielles,  comme celle d'entendre une voix  venue du ciel au moment où Jésus a été baptisé... leur souvenir peut perdre de leur réalité : le concret et le réel, maintenant c’est uniquement ce cachot malodorant où l'on se trouve confiné…. Tout le reste semble bien loin et irréel.

 

Mais aussi, c’est oublier que la figure messianique que Jean avait comme celle de tous les disciples d'ailleurs, était de quelqu'un qui reviendrait rétablir Israël sur son trône . Son emprisonnement dans ce cachot était la preuve que ce jour n’était pas venu et que Jésus ne semblait pas l’homme providence, futur roi des Juifs qui pourrait renverser le pouvoir romain. Le scandale de Jésus est justement qu’il n’a pas répondu aux attentes des gens qui l’entouraient.

 

Les recherches que l’on a pu faire sur cette époque est qu'effectivement, les attentes étaient multiples et on était toujours à l’affût de la manifestation du Messie. D’ailleurs, il faut reconnaître que les figures messianiques et leurs caractéristiques sont éparses et diverses dans les écrits des prophètes. Il n’y a pas un seul passage où il y ait un portrait bien défini et précis qui permettrait de l’identifier facilement à première vue…, comme une auréole autour de la tête ou une tunique blanche, une barbe et un regard lumineux et perçant ( on ne lui donne plus des yeux bleus au moins maintenant) comme on nous le montre dans des images pieuses ou même dans les films ! Personne a l’époque n’aurait pu imaginer que cet homme insignifiant de Nazareth serait connu 2000 ans après surtout considérant qu’il avait terminé exécuté sur une croix...

 

Finalement, en ce qui me concerne, la valeur des évangiles et ce qui accroît leur marque d’authenticité, c’est que ceux qui les ont rédigés et compilés n’ont pas essayé de les « harmoniser », c’est à dire de les modifier pour qu’ils concordent en tout afin qu’ils passent un test d’uniformité. Derrière la rédaction de ces textes, il y a les témoignages de différentes personnes qui non seulement n’ont pas toutes vues la même chose, mais aussi ceux de différentes communautés qui ont choisi de garder et de rapporter telle ou telle information car elle était la plus crédible mais aussi la plus pertinente pour eux.

 

Le « réel historique » n’est pas une masse homogène et lisse de faits multiples faciles à reconstituer surtout quand il s’agit de personnes qui comme Jésus ont suscité d’un côté une foi inconditionnelle et d’un autre un rejet et un soupçon systématique... On oublie la complexité du présent, le passé raconté simplifie toujours les options en donnant une illusion de clarté et d'inévitabilité...

 

Me voilà partie dans des digressions qui m’éloignent du texte lui-même, mais je ne peux l’aborder sérieusement sans examiner les polémiques qu’il suscite encore aujourd’hui. Même si je ne crois pas à une transcription mot à mot de ce que Jésus ou Jean aient pu dire, (qui n’aurait pas de sens d’ailleurs car ils ne se sont pas exprimés dans les langues dans lesquelles ces textes ont été écrit), ce serait jeter une suspicion infondée sur ceux qui sont à l’origine de ces lignes que de ne pas leur reconnaître un socle historique : ce n’était pas des charlatans...Il faut leur reconnaître un minimum de bonne foi et faire descendre d’un cran notre arrogance de gens du 2ème millénaire.

 

Bref, passons aux choses sérieuses

 

* * *

 

 

Jean : Qui es-tu ? Jean 1:19-28

 


 

Voici le témoignage de Jean, lorsque les Juifs envoyèrent de Jérusalem des sacrificateurs et des Lévites, pour lui demander: Toi, qui es-tu?

Il déclara, et ne le nia point, il déclara qu'il n'était pas le Christ.

Et ils lui demandèrent: Quoi donc? es-tu Élie? Et il dit: Je ne le suis point. Es-tu le prophète? Et il répondit: Non.

Ils lui dirent alors: Qui es-tu? afin que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu de toi-même?

Moi, dit-il, je suis la voix de celui qui crie dans le désert: Aplanissez le chemin du Seigneur, comme a dit Ésaïe, le prophète.

Ceux qui avaient été envoyés étaient des pharisiens.

Ils lui firent encore cette question: Pourquoi donc baptises-tu, si tu n'es pas le Christ, ni Élie, ni le prophète?

 Jean leur répondit: Moi, je baptise d'eau, mais au milieu de vous il y a quelqu'un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi;

je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers.

Ces choses se passèrent à Béthanie, au delà du Jourdain, où Jean baptisait.


 


 

(Jean, présenté comme le témoin crédible et respecté a été mentionné au début de cet évangile au milieu de réflexions profondes sur la nature de Jésus/le logos/lumière etc. .. maintenant que le récit de son histoire commence, c’est Jean comme dans l’évangile de Marc dont on parle en premier.)


 

Sur la scène apparaissent les hautes autorités religieuses de l’époque qui ont entendu parler de Jean et qui font leur enquête, ce qui est leur responsabilité. Toutes les informations que l’on a sur cette époque est justement que proliféraient ( des dizaines plutôt que des centaines) de prédicateurs/rabbins de toutes sortes qui annonçaient l’avènement d’événements politico-religieux ( les deux étaient liés) comme le rétablissement d’Israël et aussi se disaient être le Messie qui présiderait à ce rétablissement. L’atmosphère était volatile dans ce territoire occupé et ils étaient soucieux quand quelqu’un qui se revendiquait des écritures devenait populaire étant donné le risque qu’il prenne la tête d’une révolte qui serait réprimée dans le sang. Ils feront la même chose quand ce sera au tour de Jésus d’être sur le devant de la scène.


 

Voici le témoignage de Jean, lorsque les Juifs envoyèrent de Jérusalem des sacrificateurs et des Lévites, pour lui demander: Toi, qui es-tu?

Il déclara, et ne le nia point, il déclara qu'il n'était pas le Christ.


 

La première question qui lui est posée est celle qui est naturellement la plus importante pour des autorités religieuses qui se préoccupaient de l’avenir d’Israel : es-tu le Messie. On est étonné qu’il n’y ait pas de caractère polémique dans la question comme avec les échanges avec Jésus : la question est claire autant que la réponse : Jean n’élabore pas et ne cherche pas à créer l'ambiguité, ce n’est pas son style.


 

 Ceux qui avaient été envoyés étaient des pharisiens

 

Ils lui firent encore cette question: Pourquoi donc baptises-tu, si tu n'es pas le Christ, ni Élie, ni le prophète?


 

La seconde, donc vient des pharisiens qui n’étaient pas mentionnés plus haut. ( certains pensent qu’il s’agit de deux occasions différentes regroupées ici, mais peu importe). Plus pointilleux, plus curieux, ils ne veulent pas s’en tenir là....et lui demandent s’il était Elie. Pourquoi Élie parce que c’était lui qui devait annoncer la venue du Seigneur ou du jour du Seigneur selon les interprétations de la prophétie de Malachie…( ils ne croyaient pas nécessairement que le prophète Élie allait revenir...mais c’était au sens figuratif)


 

« Voici, j'enverrai mon messager; Il préparera le chemin devant moi. Et soudain entrera dans son temple le Seigneur que vous cherchez; Et le messager de l'alliance que vous désirez, voici, il vient, Dit l'Eternel des armées. Qui pourra soutenir le jour de sa venue? Qui restera debout quand il paraîtra? Car il sera comme le feu du fondeur, Comme la potasse des foulons. Il s'assiéra, fondra et purifiera l'argent; Il purifiera les fils de Lévi, Il les épurera comme on épure l'or et l'argent, (3 : 1-3) »

« Voici, je vous enverrai Elie, le prophète, Avant que le jour de l'Eternel arrive, Ce jour grand et redoutable. 4:5 »


 

(quelque soit la date de l’écriture de cet évangile, il reste incontestable que l’échange entre Jean et ses interlocuteurs ici, représente bien ce que l’on peut s’attendre de la compréhension qu’avaient les contemporains de Jésus et de Jean, des écritures juives. Leur langage, et leur utilisation du passage de Malachie, montre que de part et d’autre, il y avait une compréhension commune de ce passage au point, où il ne semblait pas nécessaire de préciser qu’ils s’en référaient à Malachie.  )


 

Ils lui dirent alors: Qui es-tu? afin que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu de toi-même?

 

Moi, dit-il, je suis la voix de celui qui crie dans le désert: Aplanissez le chemin du Seigneur, comme a dit Ésaïe, le prophète.


 

Cette fois-ci, Jean cite un prophète et on continue à reconnaître un échange entre personnes bien versées dans la foi juive et ses écritures. Voilà une citation plus longue pour nous qui sommes plutôt des ignoramus dans ce domaine...

Une voix crie: Préparez au désert le chemin de l'Eternel, Aplanissez dans les lieux arides Une route pour notre Dieu. Que toute vallée soit exhaussée, Que toute montagne et toute colline soient abaissées! Que les coteaux se changent en plaines, Et les défilés étroits en vallons! Alors la gloire de l'Eternel sera révélée, Et au même instant toute chair la verra; Car la bouche de l'Eternel a parlé.


 

Toute la question pour nous aujourd’hui est de savoir comment Jean et les pharisiens interprétaient cette révélation : si elle était messianique ou eschatologique (parlant de la fin des temps) car le fait propre des textes prophétiques c’est d’être écrits dans un langage imagé et symbolique qui suppose une interprétation pour savoir comment ils s’appliquent à une situation historique précise.


 

 Jean leur répondit: Moi, je baptise d'eau, mais au milieu de vous il y a quelqu'un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi;

je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers.

Ces choses se passèrent à Béthanie, au delà du Jourdain, où Jean baptisait.


 

Jean donc ne leur répond pas de qui il s’agit : il ne nomme pas Jésus, par prudence ? Pour le protéger ? Parce qu’il ne sait pas encore que ce serait Jésus qui viendrait après lui car ça ne lui avait été révélé qu’au moment de son baptême ? Il annonce sa venue « après » lui mais en même temps il dit qu’il est déjà là , ce qui laisse penser qu’au moment de cet échange, Jésus ne se serait pas encore manifesté… Il ne dit pas non plus si lui, il le connaît, mais  il affirme sa prééminence : l’expression digne de délier les courroies de ces chaussures est bien connue de ses interlocuteurs pour ne pas avoir besoin d’explication. On pourrait parler de modestie de Jean mais le mot ne colle pas dans le sens qu’il s’exprime plutôt en énonçant une vérité dont il est convaincu .

 

En tout cas, il peut répondre de lui-même en expliquant quel baptême il pratique : « d’eau » dit-il, donc un baptême de purification et de repentance et non pas d’initiation dans un groupe ou une secte particulière.

 

Le passage se termine avec une indication de lieu, ce qui l’ancre dans le réel et sert à lui donner sa validité de témoignage véridique. Comme, on veut toujours se poser des questions, ce qui reste de savoir c’est quand cet échange s’est passé : avant le baptême de Jésus qui est relaté dans la suite du texte ? On ne le sait pas. Certains pensent que c’étaient les anciens disciples de Jean qui ont fait connaître cette anecdote particulière, étant donné que certains d’entre eux comme on va le voir après l’ont quitté pour devenir disciples de Jésus.


 

* * *


 

Jean, l’ascète…, qui étant un peu de la même extirpe que Jésus, ne se laisse pas non plus impressionner par les autorités religieuses de son époque et en ce sens est dans la grande tradition des prophètes ( les vrais) qui ne s’inclinent pas devant le pouvoir quel qu’il soit. C’est riche de cette tradition de courage que le peuple juif va concevoir cette catégorie appelée « les justes » pour exprimer leur reconnaissance à ceux et celles qui sont venus au secours de leur peuple à une de ses heures les plus sombres de leur histoire : la Shoa.


 

On peut donc espérer de lui d’avoir un franc parler et de dire ce qu’il pensait : ses réponses sont succinctes et il n’essaie pas de flatter ou de conforter les idées de ceux qui l’interrogent. Tout le monde le savait et c’est pour cela qu’il était un témoin si important. Si la retransmission de ses paroles ne saurait être du mot à mot, il semble difficile de penser qu’on lui aurait fait tenir des propos envers Jésus contraire à ses convictions.


 

Quant à savoir, quels étaient ses états d’âme ? Ça c’est une autre histoire : l’anecdote qui suit ce passage nous le montre s’exprimant de nouveau publiquement en présence de Jésus mais on n’aura pas d’anecdote rapportée où les deux se seraient parlés en privé, ni où Jean se serait exprimé avec ses disciples loin du regards des foules. La seule information sur ses états d’âme et c’est déjà beaucoup, est quand il était en prison et qu’il a eu des doutes sur l’identité de Jésus.


 

Dans notre monde contemporain où les limites entre vie privée et vie publique sont brouillées et où avec les réseaux sociaux nos idoles étalent leurs états d’âme et racontent les moindre détails de leur vie quotidienne, avec les évangiles, évidemment on reste sur sa faim. Alors on scrute le moindre détail le moindre mot pour essayer de savoir ce que les rédacteurs de l’époque n’ont pas vu l’intérêt de raconter et de rapporter.


 

Jean, ce personnage fascinant, est réduit à son rôle de témoin : tant pis pour nous !


 

N.B Pour aller plus loin :

van der Merwe, D. G. (1999). The historical and theological significance of John the Baptist as he is portrayed in John 1. Neotestamentica, 33(2), 267–292. http://www.jstor.org/stable/43070280

 

Amphoux, C.-B. (2017). L’IDENTITÉ ET LA FONCTION DE JEAN LE TÉMOIN (JN 1, 6). Revue Des Sciences Philosophiques et Théologiques, 101(1), 31–48. http://www.jstor.org/stable/44630270

 

Hughes, J. H. (1972). John the Baptist: The forerunner of God Himself. Novum Testamentum, 14(3), 191–218. https://doi.org/10.2307/1560229

 

Tag(s) : #Etude de l'évangile de Jean
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