le 5/10 août, 2022, Auvergne
Ce prologue de Jean m’oblige à avancer à petits pas...à peine une phrase à la fois. C’est vraiment un texte méditatif et contemplatif…
(Je découvre un article intéressant écrit par une théologienne sud-africaine… ça m’intéresse vraiment de lire des commentaires et des analyses qui ne viennent ni d’Européens, ni d’Américains du Nord qui sont considérés comme les grosses pointures de l’exégèse biblique et qui dominent les débats. Quoique l’auteure soit d’origine européenne, vivre en Afrique du Sud ne peut que déteindre sur sa manière d’envisager le sens du monde qui l’entoure. En tout cas j’ai trouvé très éclairant son analyse sur la relation entre Jésus et le temple En général, comme les textes bibliques ne sont pas « occidentaux » la perspective de ceux qui viennent de milieux culturels où la communication orale continue à être importante et où la dimension spirituelle et religieuse du monde est une évidence, peut certainement nous faire découvrir des significations qui ne nous sauteraient pas aux yeux. Surtout, après des décades où le texte a été aseptisé par des théories qui ont voulu les vider de leur contenu pour ne s’intéresser qu’à leur structure de peur de perdre leur approche scientifique… Après tout, on a à faire à des textes sacrés dont la dimension spirituelle est intrinsèque, on ne peut donc pas faire l’impasse sur leur signification sans les amputer : une perspective uniquement scientifique ne saurait jamais être satisfaisante.)
Jean 1 : 15-18
Jean lui rend témoignage et il clame : " C'est de lui que j'ai dit : Celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, parce qu'avant moi il était. "
Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce.
Car la Loi fut donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
Nul n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l'a fait connaître.
* * *
Jean lui rend témoignage et il clame : " C'est de lui que j'ai dit : Celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, parce qu'avant moi il était. "
Jean fait sa réapparition, de nouveau ancrant le texte dans le temps historique. On ne peut pas éviter de penser que la mention de cet homme qui apparaît au milieu de ce prologue atteste de la révérence et du respect que les personnes auxquelles il s’adresse, lui portait. Jean apparaît comme fondamental pour rendre crédibles les déclarations faites sur Jésus : il est un témoin dont la fiabilité ne fait pas de doute.
On a imaginé beaucoup de situations différentes pour expliquer l’importance qu’il avait au moment de l’écriture de ce prologue entre autres que les disciples proches de Jean étaient encore en vie ce qui dans ce cas, affecterait la date du texte ( il n’aurait pas été écrit aussi tardivement qu’on le croyait, à savoir aux environs de 90) ou au contraire que longtemps après la mort et la résurrection de Jésus, il y avait encore des groupes qui se revendiquaient uniquement de Jean le Baptiste et qu’il fallait les convaincre de la suprématie de Jésus pour qu’ils se rallient à eux… Quelque soit le cas, il a certainement une place d’honneur dans ce prologue qui sera développée un peu plus loin…
Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce.
On en revient maintenant au Logos, au Verbe, à la Parole et on a cette déclaration extraordinaire qui s’adresse à celui et celle pour lesquels cette vérité ou révélation est affirmée...l’idée que l’on a accès à tout ce qu’il est, que rien de ce que Jésus est, ne nous est soustrait ! C’est époustouflant ! Cela suppose un don total de sa personne, tellement contraire à l’idée du maître, ou du gourou qui veut garder pour lui une partie de son pouvoir et de son savoir afin de dominer sur les autres ! De cette plénitude qu’il partage avec nous, découle que le don de la grâce qu’il nous offre ne s’arrête jamais; ce n’est pas une bonne fois pour toutes que l’on reçoit la grâce mais jour après jour, tant que nous vivons : la grâce qui vient de Jésus est un ruisseau qui ne tarit jamais… !
Car la Loi fut donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
Rappel pour ceux qui sont juifs et enseignement pour ceux qui ne le sont pas : Moïse est cité comme précédant Jésus et posant une première pierre de la révélation de Dieu à l’être humain mais plus précisément au peuple juif auquel il sera demandé expressément de garder cette Loi et de la mettre en pratique. De nouveau, apparaissent ces deux mots « grâce et vérité » comme définissant la nature de Jésus-Christ, qui est présenté comme un second Moïse mais qui en même temps lui est supérieur comme dans un crescendo où il complète et sublime la révélation de Dieu pour l’être humain : il est évident que l’on monte d’une marche pour arriver au sommet dans la déclaration suivante.
Nul n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l'a fait connaître.
Encore une fois, une allusion à Moïse : certainement, ceux qui connaissaient les écritures juives savaient que Moïse n’avait pas pu voir Dieu : quand Il avait demandé à voir le visage de Dieu, il avait essuyé un refus, nous dit le livre de l’Exode (33 : 18-20)
Moïse dit: Fais-moi voir ta gloire! L’Éternel répondit: Je ferai passer devant toi toute ma bonté, et je proclamerai devant toi le nom de l’Éternel; je fais grâce à qui je fais grâce, et miséricorde à qui je fais miséricorde. L’Éternel dit: Tu ne pourras pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre »
Et pourtant, Moïse était très proche de Dieu, est- il rapporté un peu plus haut..
« Moïse était entré dans la tente, la colonne de nuée descendait et s’arrêtait à l’entrée de la tente, et l’Éternel parlait avec Moïse. [. . .]L’Éternel parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle à son ami »
(Peut-être est-ce justement à cause de sa proximité avec Dieu que Moïse avait cru qu’il pouvait le voir dans sa gloire car ici le texte parle d’un face à face mais qui ne doit pas être pris littéralement étant donné ce qui sera expliqué plus tard.)
On est là donc dans une dimension nouvelle : Jésus n’est semblable à aucun autre, il entre dans une catégorie qui n’existait pas auparavant, auquel personne d’autre n’appartient et c’est ce statut nouveau de fils « unique, au sein du père » qui donnera lieu à toute une réflexion qui conduira plus tard à imaginer un concept trinitaire comme une tentative de cerner et d’intégrer cette dimension nouvelle.
Est-ce que celui qui a écrit ces lignes s’est rendu compte de la portée de ce qu’il avait écrit ? Est-ce que ceux qui l’ont lu ou entendu se sont rendus compte de ce que cela pouvait signifier quand on pense que pendant plus de 2000 ans ce texte a interrogé des milliers penseurs dans leur recherche d’une définition de Dieu ?
Si véritablement cette déclaration a été inspirée par Dieu (ce que je crois), on ne peut que s’exclamer comme Jésus, quand après avoir demandé aux disciples ce que disaient de lui les gens Pierre a répondu à la question, « et vous, qui dites que je suis? » de la manière suivante :
« Simon Pierre répondit: Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus, reprenant la parole, lui dit: Tu es heureux, Simon, fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais c'est mon Père qui est dans les cieux. »
Gageons donc que c’est le même Père qui a inspiré cette déclaration extraordinaire de ce texte!
* * *
Finalement, je suis arrivée à la fin de cette section appelée communément prologue de Jean…
Je n’avais pas remarqué auparavant à quel point, il était rattaché aux textes de l’Ancien Testament et surtout à la figure de Moise...car on pense plus à Abraham, le père de la foi qu’à Moise qui pourtant est le libérateur du peuple juif, celui qui l’a guidé dans le désert et celui qui est monté sur le Sinaï où il s’est tenu devant la présence de Dieu pour recevoir les fameuses tables de la Loi qui ont scellé le destin de ce peuple et lui ont donné son ADN. Une découverte en quelque sorte pour moi qui y voyait avant à cause du mot Logos, uniquement un texte grec...
La présence de Jean au milieu de ce texte aussi, qui apparaît incongrue, m’a surprise mais je découvre à quel point elle est importante en réalité pour notre époque où la notion de lumière/vérité est devenue populaire dans la mouvance « new age » pour qu’elle ne soit pas récupérée et assimilée à une notion vague, éthérée, atemporelle, une gnose où soit totalement absent le Jésus de Nazareth. Peut-être que l’intention de l’auteur en le mentionnant était d’inciter les disciples de Jean à se rallier au « Ressuscité » mais il a ancré pour toujours ce traité de théologie et de philosophie dans l’histoire de la Palestine du 1er siècle grâce à un de ses contemporains, les plus connus, dont la fin tragique est attestée, Jean le Baptiste, prophète bien aimé.
En même temps, l’idée qu’il ait pu être un hymne sinon chanté du moins proclamé à la louange de Jésus le met dans la catégorie de textes à méditer et à contempler dans la conception moderne de la méditation : un texte duquel on ne peut s’approcher qu’en faisant le vide dans notre tête, qu’en renonçant à toute velléité de raisonnement ou d’analyse, abandonnant toute catégorie de pensée pour se laisser saisir par l’Esprit de Dieu dans le silence de l’âme…
À donc lire et relire tout en entier mais à méditer phrase par phrase :
Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.
Elle était au commencement avec Dieu.
Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue (ou étouffée)
Il y eut un homme envoyé de Dieu: son nom était Jean.
Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
Il n’était pas la lumière, mais il parut pour rendre témoignage à la lumière.
Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire toute personne.
Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue.
Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont point reçue.
Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés,
non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.
Et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père.
Jean lui a rendu témoignage, et s’est écrié: C’est celui dont j’ai dit:
Celui qui vient après moi m’a précédé, car il était avant moi.
Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce sur grâce;
car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
Personne n’a jamais vu Dieu; Dieu le Fils unique[a], qui est dans le sein du Père, est celui qui l’a fait connaître.
N.B Pour aller plus loin :
La référence du texte cité au début :(Mouton, E. (2016). Torah Reimag(in)ed between σάρξ and δόξα? Implied Household Ethos in the Fourth Gospel. Neotestamentica, 50(3), 93–112. https://www.jstor.org/stable/26417622)
Durand, E. (2004). ΛΟΓΟΣ, ΜΟΝΟΓΕΝΗΣ ET ΥΙΟΣ: QUELQUES IMPLICATIONS TRINITAIRES DE LA CHRISTOLOGIE JOHANNIQUE. Revue Des Sciences Philosophiques et Théologiques, 88(1), 93–103. http://www.jstor.org/stable/44408797