Le 9 juillet 2022, Auvergne,
(temps chaud et ensoleillé)
Jean 1 : 10-13
Le rejet
Cette lumière était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout être humain. Elle était dans le monde et le monde a été fait par elle, pourtant le monde ne l'a pas reconnue. Elle est venue chez les siens, et les siens ne l'ont pas accueillie. Mais à tous ceux qui l'ont acceptée, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le droit de devenir enfants de Dieu, puisqu’ils sont nés non du fait de la nature, ni par une volonté humaine, ni par la volonté d’un mari, mais qu’ils sont nés de Dieu.
( La Bible de Jérusalem, donne une traduction différente pour le verset 13 : Jn 1:13 lui qui ne fut engendré ni du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.)
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Ce qui est objet de discussion dans ces lignes
Elle était dans le monde et le monde a été fait par elle, pourtant le monde ne l'a pas reconnue.
Tout d’abord la signification du mot « monde », car très souvent ce mot est utilisé pour parler de ce qui est contraire à Dieu, comme dans l’expression « le prince de ce monde » ( c’est Jésus qui l’utilise en parlant de Satan) au service duquel sont ceux qui commettent le mal. Il est clair qu’ici ce n’est pas le cas, car le monde a été fait par « lui » et si on retourne au texte de la Genèse, après la description de chaque étape de la création on a la phrase « et Dieu vit que cela était bon »
Mais évidemment dans la deuxième partie de la phrase, le monde a le sens plus étroit de personnes humaines qui n’ont pas accueilli ou reconnu qui était le Logos/ la lumière en la personne de Jésus. Le terme est un terme générique et ne cible pas un groupe particulier mais il inclut l’humanité toute entière.
Elle est venue chez les siens, et les siens ne l'ont pas accueillie.
Par contre ici, le texte se resserre et on pense naturellement qu’il s’agit de la famille de Jésus au sens large du terme, c'est à dire, le peuple juif… Cependant certains exégètes contestent cette interprétation et pensent que « les siens » désigne ceux « qui ont été faits par lui » pour éviter me semble-t-il que le texte ne tombe dans un anti-sémitisme de mauvais aloi (qui en plus serait anachronique) étant donné l’usage donné à ces lignes par la suite. On a toujours la Shoa en tête, quand aujourd’hui on étudie ce genre de texte, et il me semble donc que l’intention est de chercher à déminer leur sens pour ne pas faire porter aux écritures la responsabilité de cette entreprise infâme qu’a été la Shoa.
Mais à tous ceux qui l'ont acceptée, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le droit de devenir enfants de Dieu, puisqu’ils sont nés non du fait de la nature, ni par une volonté humaine, ni par la volonté d’un mari, mais qu’ils sont nés de Dieu.
Étant donné le contexte que l’on croit connaître de l’époque où la branche « les chrétiens » se détachait du judaïsme mais à une époque encore où ceux qui croyaient en Jésus Christ était exclus des synagogues, certains insistent sur le fait que cette affirmation de la paternité de Dieu veut souligner , que contrairement à ce que les juifs veulent croire, ils n’ont pas un droit exclusif sur Dieu et que seuls ceux qui ont cru en Jésus peuvent se revendiquer d’être enfants de Dieu.
( il faut se rappeler ce que Jésus a souvent dit aux scribes et aux pharisiens quand ils se vantaient d’être fils d’Abraham…,« et ne prétendez pas dire en vous-mêmes: Nous avons Abraham pour père! Car je vous déclare que de ces pierres-ci Dieu peut susciter des enfants à Abraham »)
Il faut noter cependant que l’idée de la phrase n’est pas l’exclusion d’un groupe mais au contraire l’inclusion d’un autre nouveau qui n’est plus basé sur l’ethnicité mais sur la reconnaissance de qui est Jésus. C’est la création d’une identité nouvelle, d’une appartenance vraiment révolutionnaire, surtout si on pense qu’aujourd’hui encore l’identité d’une personne est basée sur son appartenance raciale, culturelle ou nationale…. Comme les juifs ici ne ne sont pas nommément mentionnés, on n’a certainement pas une répudiation du peuple juif tout entier même s’il y avait une critique évidente de ceux qui parmi les juifs, l’ont rejeté. On peut très bien considérer que « les siens » désigne sa famille religieuse et ethnique sans tomber dans le piège de l’anti-sémitisme.
puisqu’ils sont nés non du fait de la nature, ni par une volonté humaine, ni par la volonté d’un mari, mais qu’ils sont nés de Dieu.
J’ai été étonnée de découvrir qu’il y avait deux traductions possibles : celle citée ici et reprise par la version catholique de ALF, et une autre celle de la Bible de Jérusalem…
lui qui ne fut engendré ni du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.
Grosse différence, le premier insiste sur la description des enfants de Dieu et l’autre parle de Jésus ! Différence entre un singulier et un pluriel ! J’ai donc fouillé la question mais une fois de plus, ne connaissant pas le grec et n’étant pas une experte sur les manuscrits….il a fallu que je m’en tienne à lire des articles qui expliquent l’origine de cette différence et la polémique qui en a résulté. Il semble que la plupart des traductions aujourd’hui préfèrent la première version/traduction...je soupçonne ceux qui choisissent la deuxième de vouloir à tout prix en référer à la naissance virginale de Jésus qui est sinon totalement absente de cet évangile… (en tout cas, pour ceux qui veulent en savoir plus je renvoie à un article à la fin qui présente d’une manière savante cette polémique)
Au-delà de ces polémiques...
Tristesse,
C’est le mot pour moi qui se dégage de ces affirmations : s’exprime derrière ces lignes, une profonde tristesse, pas de condamnation particulière, pas de colère envers ce monde qui ne l’accueille pas mais une grande tristesse pour ce « logos/lumière » qui s’humanise de ce fait, à travers ce rejet sur lequel il est insisté, d’abord en termes généraux, mais après en termes plus personnels celui « des siens » ceux de sa famille ou ses proches, ceux dont il se sentait solidaire, ceux qui devraient l’accueillir et qui au contraire lui ont fermé la porte au nez…
Le rejet, une douleur universelle à laquelle on peut s’associer sans problème, surtout quand il s’agit des siens… être rejeté par ses parents, ceux qui nous ont mis au monde et pour lesquels on est censé être un don, un cadeau, une chance… (on sait que certains enfants abandonnés ne s’en remettent pas ou difficilement ), être rejeté par un proche qui refuse de nous voir ou de nous parler, être rejeté par des anciens amis qui nous tournent le dos pour une raison ou pour une autre, pire encore, être rejeté par son église, la famille de la foi ( une des raisons semble-t-il qui a conduit au suicide de ce prêtre à Versailles, la semaine dernière).
Bref, les raisons d’un rejet sont multiples mais conduisent toujours à la même conclusion : notre culpabilité. Le rejet suggère qu’il y a une raison valable pour laquelle on est rejeté, un manque intrinsèque, une faute inavouée, une incapacité à jouer le rôle qu’on nous a assigné...on devient un bouc émissaire sur lequel les autres rejettent tous leurs manquements, leurs désillusions...
Offre étonnante
Mais à tous ceux qui l'ont acceptée, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le droit de devenir enfants de Dieu,
Face à un rejet aussi fondamental, se dresse l'offre d'un droit inaliénable, qui nous remet debout et nous redonne le droit à exister, à avoir une identité, une appartenance, une généalogie mais pas n’importe laquelle, celle de faire partie de la famille « des enfants de Dieu »
et pour ceux qui ont le besoin de l’entendre, tous ceux qui n’ont pas été désirés par un père ou une mère, qu’importe, le texte explicite, insiste
puisqu’ils sont nés non du fait de la nature, ni par une volonté humaine, ni par la volonté d’un mari, mais qu’ils sont nés de Dieu.
Être désiré et recueilli par Dieu, on ne peut pas imaginer de plus grand réconfort que celui-là...
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Pour aller plus loin: Pryor, J. W. (1985). Of the Virgin Birth or the Birth of Christians? The Text of John 1:13 Once More. Novum Testamentum, 27(4), 296–318. https://doi.org/10.2307/1560451)