le 9 mai 2022, Auvergne
L’église était vide,
ou presque,
En tout cas, plus vide que ce dont je me souvenais la dernière fois que j’y ai été,
Les même personnes aux cheveux gris ou au faux châtain-roux…
Mais quand même, une jeune femme avec un enfant dans une poussette et deux fillettes...sans homme pour l’accompagner…
On s’est mis à attendre tranquillement un prêtre qui n’arrivait pas…
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Autrefois, il y a bien longtemps semble-t-il, cette grande église dans un bourg de campagne avait dû être pleine à craquer le dimanche,
avec enfants et femmes endimanchés mais aussi quelques hommes, des forts gaillards certainement qui s’asseyaient de préférence au fond pour sortir le plus tôt possible à la fin de la messe rejoindre le bar, toujours là sur la place...où quelques clients étaient assis aux tables...
Sincères ou pas, croyants par conviction ou par habitude, présents pour se faire voir ou se faire élire, on se retrouvait là le dimanche et on y fêtait nombreux, baptêmes, mariages, premières communions et quelques enterrements même, tout étant l'occasion de se retrouver autour d’un repas copieux après avoir échangé à la sortie de l’église les dernières nouvelles avec les habitants des environs…
C’était vivant !
Maintenant ce sont surtout des enterrements….
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Toujours pas de prêtre en vue…
Faut dire qu’il a plus de 85 ans et qu’il assure encore les messes dans d’autres églises de la région alors qui sait…
Dans la salle d’attente du cabinet médical, où l’on peut s’informer de tout ce qui se passe dans le village, deux femmes discutaient de son état de santé et remarquaient qu’il n’était plus lui-même depuis son dernier accident de voiture…
Faut dire que quand il s’agit de quelqu’un de plus de 85 ans, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il ne perde pas ses billes de temps en temps …
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Les fillettes commençaient à s’impatienter. Pour s’occuper, elles sont allées allumer des cierges sous le regard vigilant de leur maman qui s’est mise à bercer l’enfant dans la poussette qui avait commencé à se réveiller
Trois femmes, un peu plus jeunes que la moyenne, qui avaient l’air d’être chargées de préparer « quelque chose » sont entrées en conciliabule… mais je savais bien qu’elles ne pourraient pas assurer une messe…c’était après tout des femmes, et les messes ne peuvent pas se dire sans un prêtre homme…donc….
On a continué à attendre
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Dehors, on pouvait maintenant entendre la fanfare…
Pourquoi la fanfare ?
Ah c’est vrai, aujourd’hui on célébrait la fin de la deuxième guerre mondiale...même que demain parait-il, Poutine allait faire un grand défilé militaire pour faire valoir le sacrifice du peuple russe pour lutter contre le régime nazi…
(un sacrifice réel d’ailleurs avec des millions de morts ...mais comme on le sait tous, le peuple russe a continué à souffrir d’oppression sous l’ère Staline et puis communiste et en plus maintenant de nouveau a été envoyé pour se faire tuer dans une guerre décrétée par un autre dirigeant tyrannique et avide de grandeur… contre un peuple dont il est le cousin germain…)
Alors armistice, pour combien de temps encore ?
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J’ai bien envie d’aller dehors et voir ce qui s’y passe : ça a l’air plus vivant qu’entre ces murs...
D’abord, c’est la marseillaise et ensuite l’hymne européen qu'ils sont en train de jouer, l’hymne à la joie de Beethoven comme on l’appelle quelquefois, bien entraînant sans doute…
Il y a dû avoir un discours du maire et il semble qu’aujourd’hui on a l’intelligence suffisante dans ces allocutions pour ne plus exalter un nationalisme à outrance mais déplorer les nombreuses morts civils et célébrer la paix… surtout qu’aujourd’hui avec l’Ukraine, c’est pas gagné
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Faut- il partir ?
Je vois une des dames se diriger vers la sacristie, allumer les cierges sur l’autel , serait-il arrivé maintenant ? Tout le monde ( enfin c’est une façon de parler) est encore là et a décidé de rester… on s’est déplacé quand même, on ne va pas revenir bredouille !
Je sais en tout cas qu’un monsieur âgé qui vit dans l’ehpad à quelques mètres de là partira pour être sûr de ne pas rater le repas servi à 11 heures et demie...il part systématiquement avant la fin même quand la messe commence à l’heure…
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Finalement,
le prêtre arrive par la porte principale,
tout aussi frêle et menu qu’avant
il explique en se dirigeant vers l’autel, que sa voiture s’est endommagée quand il a percuté une autre voiture en faisant marche arrière pour sortir du parking , quelqu’un avait dû le ramener…
Je me demande s’il va tenir le coup…
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Il met les vêtements liturgiques, les trois femmes s’affairent, et il annonce au micro après s’être excusé une nouvelle fois, d’une voix étonnement ferme
« aujourd’hui 4ème dimanche après Pâques, nous continuons à célébrer le Christ ressuscité »
L’annonce fondamentale, est faite: la proclamation du Christ ressuscité
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Faut-il regretter le passé, se laisser envahir par la nostalgie de ce qui n’est plus, de cette époque révolue ici en tout cas, où le christianisme paraissait, si pimpant, si allègre, si puissant?
(On sait pourtant que ce temps là si joyeux, était aussi un temps de compromissions, de corruption, d’alliances honteuses ,un temps où Jésus aurait pu interpeller les dirigeants de l’église comme il l’a fait des autorités religieuses de son époque pour les traiter d’hypocrites….)
Certainement quand on regarde en arrière, et que l’on voit les affres par lesquelles les églises ont passé, il y a eu des moments de triomphe et de grandeur, des vrais motifs de joie et de réjouissance, mais il y a eu aussi des moments de persécutions féroces où il semblait que pas un seul disciple de Jésus ne resterait debout …
et peut-être pire encore des moments de trahison où l’église participait aux crimes qu’elle devait dénoncer, aux mensonges qu’elle devait démasquer où elle avait cessé d’annoncer quoi que soit de bon au peuple et était juste bonne à être foulée aux pieds comme le sel qui avait perdu de sa saveur...selon la formule de Jésus lui-même
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Souvent au cours des siècles et des siècles de péripéties d’une histoire mouvementée, la transmission du message n’a plus tenu qu’à un fil,
Comme celui de la foi d’un vieux prêtre têtu,
et d’un petit groupe de femmes patientes et résolues,
(toujours ces femmes dont on se plaint mais qui n’ont pas eu peur de s’approcher d’un Jésus agonisant sur une croix, et qui pour cela ont été les premières à être les témoins de la résurrection…)
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L’église était presque vide soit,
mais c’est grâce à ces anonymes qui étaient là en ce jour,
Et à tous ceux qui sont venus avant eux,
Que la nouvelle du Jésus ressuscité en Palestine est arrivé jusqu’ ici,
dans cette église presque vide,
et dans tous les là-bas du monde entier
Tous ces anonymes,
qui font partie d’une foule immense de témoins comme le disait le texte du jour :
« Moi, Jean, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main [. . .] Celui qui siège sur le Trône établira sa demeure chez eux.Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »
Livre de l'Apocalypse 7,9.14b-17.