le 29 novembre/ 4 décembre 2021, Virginie, États Unis….
J’ai abandonné Jésus à Gethsémani...il est temps que je le retrouve, même si le cycle liturgique nous ramène à l’Avent… un très beau temps que j’affectionne particulièrement malgré le fait qu’il nous conduise à Noël, une célébration que je n’aime pas particulièrement… C’est un peu gênant de suivre ce parcours de la vie de Jésus en solitaire à un rythme différent de celui de mon entourage...je me rends compte des limites de l’individualisme de l’époque à laquelle j’appartiens...l’individualisme n’étant pas la même chose que la solitude du prophète…
Bref….
Marc 14 : 43-52
Levez-vous ! Allons ! Voici qu’il est proche, celui qui me livre. »
Jésus parlait encore quand Judas, l’un des Douze, arriva et avec lui une foule armée d’épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres, les scribes et les anciens.
Or, celui qui le livrait leur avait donné un signe convenu : « Celui que j’embrasserai, c’est lui : arrêtez-le, et emmenez-le sous bonne garde. »
À peine arrivé, Judas, s’approchant de Jésus, lui dit : « Rabbi ! » Et il l’embrassa.
Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent.
Or un de ceux qui étaient là tira son épée, frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille.
Alors Jésus leur déclara : « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus vous saisir de moi, avec des épées et des bâtons ?
Chaque jour, j’étais auprès de vous dans le Temple en train d’enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est pour que les Écritures s’accomplissent. »
Les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent tous.
Or, un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter.
Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu.
Une arrestation irrégulière
Après ce moment d’intimité avec Jésus, pendant lequel on s’est approché de lui et on a pu entrevoir (même si à une distance respectueuse) sa faiblesse et son vacillement, le récit reprend ses droits. Ayant eu l’occasion d’observer (de loin aussi pour des raisons de sécurité) l’arrestation au petit matin par des polices plus ou moins légitimes, des personnes indésirables qui réapparaissaient (ou pas) selon le cas, les détails de l’arrestation de Jésus me semblent tout à fait plausibles et dans l’ordre normal des choses pour ce genre de situation.
( En disant cela je ne veux pas créer d’équivalence facile entre Jésus et les dissidents politiques et surtout je ne le réduis pas au rôle de contestataire des institutions politiques et religieuses mais le texte de Marc nous permet de voir clairement que pour la hiérarchie politico-religieuse de son temps, Jésus était l’homme à abattre pour de multiples raisons qu’on a eu l’occasion de voir, même s’ils savaient qu’il n’avait rien fait d’illégal ou de passible de poursuites : là-dessus, il n’y a pas de doute.)
Jésus parlait encore quand Judas, l’un des Douze, arriva et avec lui une foule armée d’épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres, les scribes et les anciens.
Ils sont venus armés, dans la semi-obscurité, guidés par un « indic »ou quelque soit le nom donné à ces gens que toutes les polices du monde utilisent pour arrêter un « indésirable » et le fait que l’indic dans ce cas soit Judas, n’y change rien. Ça n’en fait pas un personnage plus condamnable qu’un autre et ne lui donne pas automatiquement un statut particulier ni une dimension mythique...même si « ce baiser de la trahison » soit devenu après coup le sujet de nombreuses représentations artistiques et créations littéraires.
Il est notable de remarquer qu’il s’agit d’une foule et non pas d’une armée régulière ou professionnelle, montrant bien que les scribes et les anciens n’avaient pas d’autorité légitime et ne pouvaient mettre en place un tribunal pour le juger : ils avaient donc fait appel, à ce qu’on appellerait des hommes de main, une espèce de milice privée pour arrêter Jésus…ce qui souligne le caractère irrégulier de leur action. Le pouvoir romain n’était pas encore impliqué, c’était un règlement de compte « entre eux » leurs sujets, le peuple juif.
Leur manière d’agir est typique d’une certaine manière des puissants, ou des tribunaux ecclésiastiques de tous poils qui sont les commanditaires ou même les instigateurs de crimes et qui peuvent toujours pour leur défense invoquer que ce n’était pas eux qui les avaient commis au cas où ils perdent le contrôle de la situation…A travers l’histoire de l’église, les institutions religieuses ont cherché à se dédouaner de massacres perpétrés par la foule et que eux avaient incité en donnant l’ordre d’arrestation arbitraire… on pense bien entendu au massacre de la St Barthélémy… mais surtout à tous les progromes dont les juifs ont été la cible…
Or un de ceux qui étaient là tira son épée, frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille.
Armé aussi l’était un des disciples qui n’est pas nommé (pas d’armes à feu donc pas autant de dégâts…comme dans la dernière tuerie ici dans une école...) ce qui donne à penser que parmi les disciples, au moins l’un d’entre eux s’attendait à ce que Jésus soit arrêté ou tout au moins inquiété à un moment donné. On ne s’étonne pas du désir de protéger Jésus ou plutôt d’empêcher qu’il soit arrêté car ses disciples n’étaient pas naturellement des adeptes de la non violence ….. ( alors qui était ce disciple qui n’est pas nommé ? les hypothèses vont bon train sur le sujet...mais comme ça ne m’intéresse pas particulièrement, je n’ai pas fait de recherches sur le sujet!)
Mais cet incident n’est suivi ni de commentaire ni de réaction quelconque de la part de Jésus ou de ceux qui sont venus l’arrêter…ce sont dans les autres évangiles que l’on entend dire que Jésus guérit l’homme blessé et prononce la sentence célèbre ; « celui qui vivra par l’épée mourra par l’épée »
(La citation complète dans l’évangile de Mathieu : « Et voici, un de ceux qui étaient avec Jésus étendit la main, et tira son épée; il frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui emporta l'oreille. Alors Jésus lui dit: Remets ton épée à sa place; car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée »)
Jésus le récalcitrant,
Alors Jésus leur déclara : « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus vous saisir de moi, avec des épées et des bâtons ?
Chaque jour, j’étais auprès de vous dans le Temple en train d’enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est pour que les Écritures s’accomplissent. »
Après le Jésus incertain de Gethsémani, on retrouve le Jésus combatif du reste de l’évangile de Marc, où il n’hésite pas à interpeller les exécutants de son arrestation ...et à leur faire des reproches, ne se positionnant pas du tout dans la situation d’une victime apeurée qu’on vient arrêter à son insu mais quelqu’un qui continue à garder la maîtrise des événements alors même qu’il est fait prisonnier. S’il se laisse faire et ne résiste pas physiquement à cette arrestation, Il ne le fait pas sans dénoncer leur méthode dont il souligne la lâcheté : il apparaît comme un véritable résistant qui quoiqu’étant fait prisonnier, garde sa liberté de parole. Son indignation du moment est tempérée par la réalisation que finalement, c’était écrit … et donc que ça ne sert de s’insurger ou même de s’opposer à cette arrestation irrégulière...
La débandade des disciples
Juste après qu’il soit arrêté, on a deux faits qui nous sont rapportés, le premier, c’est la fuite en masse des disciples y compris ( on suppose) celui qui aurait été armé et aurait coupé l’oreille du grand prêtre dont on ne reparle plus…..Et le deuxième c’est cet homme qui court nu pour échapper à l’arrestation…et pour une raison ou pour une autre, cette dernière histoire a attiré l’intérêt d’un grand nombre de chercheurs….
( on trouve des articles qui s’interrogent sur le genre d’habits que portaient les juifs à l’époque, jusqu’à nous informer au passage, qu’il ne portaient pas de sous vêtements si le jeune homme s’était vraiment retrouvé « tout nu », et bien sûr devrais-je ajouter de qui il pouvait bien s’agir….)
Quant à moi la séquence rapportée me semble très compréhensible : je vois facilement quelqu’un de l’entourage de Jésus que l’on veuille arrêter et qui se mette à courir pour s’échapper et dont le poursuivant arrive à attraper le vêtement, ici on nous dit que c’est un drap...qui lui reste dans les mains pendant que le poursuivi s’enfuit nu … Bref s’il y a des passages qui me posent problème, celui-là n’en est pas un… ( et à la question pourquoi le rapporter, on pourrait simplement dire parce que ça s’est passé...)
* * *
Avec cet épisode de son arrestation, on retrouve un Jésus rassurant d’une certaine manière , (surtout après Gethsémani) celui fort et bien campé du reste de l’évangile de Marc et qui fait face …. Étant donné toutes les images de la passion d’un Jésus larmoyant et impuissant, en même temps que tout le symbolisme de Jésus comme l’agneau pur et innocent qui se laisse mener sans résister à l’abattoir…. C’est peut-être pour ça que sa manière d’aborder et d’interpeller ceux qui viennent l’arrêter où il garde tout son mordant m’a surpris ! Jésus n’inspire pas la pitié et ne la demande pas, c’est aux antipodes de qui il était, contrairement à l’effusion d’émotions qu’on déverse au moment du temps liturgique de la Passion. Mais on en n’est qu’au tout début !
L’attitude de Jésus qui proteste contre son arrestation et la dignité dont il fait preuve est bienvenue ! Un appel au respect pas à la condescendance, mais aussi un rappel que l’on a le droit de protester quand on est victime d’une injustice et qu’on n’est pas tenu au silence… un droit, soit dit en passant que l’on reproche souvent à ceux qui en élevant la voix nous mettent mal à l’aise quand on fait partie du groupe de personnes dont ils dénoncent l’injustice…. On crie tout de suite à la victimisation....
Alors, un Jésus, non violent oui,
Passif et complaisant certainement pas !
N.B. Sur toute la question épineuse de la chronologie des événements qui se sont déroulés les derniers jours de la vie de Jésus, étant donné que les évangiles en donnent des récits qui sont difficiles à harmoniser ( surtout celui de Jean), l’article d’Etienne Nodet est intéressant. Nodet, Étienne. “CHRONOLOGIES DE LA PASSION. LEUR SENS.” Revue Biblique (1946-), vol. 118, no. 3, Peeters Publishers, 2011, pp. 362–407, http://www.jstor.org/stable/44092070.
Je continue à penser pour l’évangile de Marc, que ce n’est pas une chronologie précise qui lui importe, seulement de rapporter des faits qui lui ont été transmis et leur ordre précis n’est pas une priorité. On est nous, à notre époque obsédés par ces questions et tout récit qui s’éloignerait d’une chronologie, historiquement viable mais invérifiable aujourd’hui remettent en cause pour certains la crédibilité du texte. C’est une erreur.