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Des paroles déchirantes...

le 30 septembre 2021, Auvergne,


 

Dernier jour de septembre : le temps était au rendez-vous, le thermomètre est tombé à 3 ! Évidemment, on a allumé le feu….hier soir les voisins faisaient le plein de sacs de granulés de bois ... ici, on ne jure que par les poêles à granulés …


 

Marc 14 : 22-26


 

Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. »

Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous.

Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude.

Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »

Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. 


 

Nous voilà donc devant un autre texte fondateur, non seulement de la foi chrétienne mais de par son usage liturgique à travers les siècles, dans les communautés du monde entier, du christianisme universel au sens le plus large du terme. Alors, il ne faut pas s’étonner que sur ce texte se soient bâtis des pans entiers de théologie chrétienne et donc de polémiques quant à son sens, mais aussi de représentations visuelles plus ou moins artistiques et plus au moins réalistes ( plutôt moins que plus).


 

Ce que l’on sait en tout cas, si les exégètes se demandent quels ont été les mots exacts de Jésus ( comme par hasard) c’est que quand Marc a rapporté cet épisode, la pratique chrétienne dans les groupes de disciples de faire mémoire de ce moment particulier existait déjà même s’il n’était pas ritualisé. Pour cela, on mentionne la lettre de Paul aux Corinthiens où il leur reproche de se réunir pour faire ripaille au détriment des plus pauvres, et donc de tourner en dérision, ce moment déjà considéré comme si important et sacré.


 

Je ne veux pas oublier pourtant que dans le texte rapporté, il reste quelque chose du déroulement de l’événement où l’on peut retrouver le regard de ceux qui l’ont vécu sans savoir ce qu’il pouvait signifier, étant donné qu’ils ne réalisaient pas que Jésus, leur maître, allait être livré et crucifié et encore moins allait ressusciter. Mais ce qui me frappe, encore une fois, c’est la sobriété du texte.


 

Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. »


 

Pas de transition avec le texte précédent, pourtant si troublant et si lourd de conséquences, pas de mention ( ici) sur ce qui se passe à ce Judas dont les intentions de livrer Jésus viennent d’être dévoilées à l’intéressé lui-même, l’auteur enchaîne tout de suite avec le récit de la bénédiction du pain... 

 

 

Un repas pas comme les autres?
 

« pendant le repas »


 

En guise d’introduction ou d’entrée en matière, c’est maigre mais aussi de mise en scène...ce n’est ni au début, ni à la fin… rien pour l'anticiper, sans donner à ceux qui l’entourent le temps de se préparer spirituellement, de se recueillir, de faire une pause...tout le contraire de ce qui se passe dans nos églises quand on en vient à revivre ce moment ( ce n’est pas un reproche ou une critique)...et si l’on en croit les reproches de Paul mentionnés plus haut , les premiers chrétiens n’entouraient pas cet acte commémoratif avec les égards qu'il méritait!


 

Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna…


 

Il faut signaler que bénir le pain, le rompre et le distribuer à ceux qui sont autour de soi, par un père de famille ou un maître (prêtre) est une pratique qui s’inscrit dans les rites des fêtes  juives et  n'est pas une « invention » particulière de Jésus. Si Marc ne nous donne aucun détail sur le déroulement de cette bénédiction, on peut trouver sur n’importe quel site du judaïsme, des explications en ce qui concerne le quand, le comment et le pourquoi de ces bénédictions, qu’elles se fassent quotidiennement, le jour du sabbat ou le jour de la pâque juive. Les autres évangiles nous donnent plus de détails sur l’événement et certains donnent à penser que le repas n’était pas celui de la pâque juive (le texte de Jean) quand d’autres celui de Luc ou Mathieu semblent l’indiquer…L’important de remarquer, est qu’il n’y avait rien de hors norme dans les gestes que fait Jésus, sauf évidemment les paroles particulières qu’il prononce…

 

 

Des paroles qui choquent


 

« Prenez, ceci est mon corps. »


 

D’ailleurs pour attester de la singularité de ce que Jésus dit ici, je cite ce texte (en français, une fois n’est pas coutume!) trouvé sur le site du mouvement massorti en français qui insiste bien sur le sens juif de la bénédiction du pain et du vin qui contraste avec la conception chrétienne: « Ainsi quand nous énonçons la bénédiction dite du pain ou du vin, nous n’opérons pas ce qu’on appelerait un sacrement qui conférerait à l’objet béni un statut suréminent ou sacré. Ce n’est en fait ni le pain ni le vin qui se trouvent “bénis” mais Dieu Lui-même qui est reconnu comme source de bénédiction de sorte que le fidèle qui accomplit la bénédiction prend acte et conscience de la puissance agissante de Dieu dont le produit est en l’occurrence la jouissance du pain et du vin »

( Le mouvement massorti a éditer un siddour à la fois riche en textes et pédagogique. Préface du rabbin Rivon Krygier)


 

Certainement, les disciples ont dû être étonnés par cette déclaration et ce n’est qu’après que Jésus soit exécuté qu’il s’en sont souvenus et qu’elle ait commencé à prendre du sens...Mais ici, aucun commentaire, aucune réaction, cette sobriété s’expliquant peut-être parce que les personnes à qui Marc s’adressaient, soit connaîtraient les coutumes juives donc n’auraient pas besoin d’explication sur ce type de bénédiction, soit à des non juifs, auxquels ils n’étaient pas nécessaire d’expliquer dans le détail ces rites, le coeur du texte étant les paroles de Jésus….


 

Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous.

Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude.


 

Pour ce qui est du vin, Jésus élabore un peu plus que pour le pain, et donne la signification du symbole de son sang en parlant d’alliance… ce qui l’inscrit tout à fait dans le contexte du judaïsme où la notion d'alliance entre Dieu et son peuple est fondamentale, et le symbole du sang est éclairée par l’histoire de la fuite d’Égypte quand il leur a été demandé de mettre le sang d’un agneau sur le linteau des portes pour être épargné de la mort de leur premier né.

 

Mais en général d’ailleurs, on peut bien le dire, d’un point de vue anthropologique, le sang versé dans de nombreuses cultures est un symbole fort de vie et de mort mais aussi des liens d’appartenance : on ne peut que penser à toutes ses cérémonies rituelles où un acte d’allégeance est scellé entre les personnes par un pacte de sang.

 

(On peut aussi penser à ce poème de Prévert qui commence ainsi:

Il y a de grandes flaques de sang sur le monde
où s'en va-t-il tout ce sang répandu
Est-ce la terre qui le boit et qui se saoule
drôle de saoulographie alors..
.le sang n'arrête pas de couler
Où s'en va-t-il tout ce sang répandu
le sang des matraqués… des humiliés…
des suicidés… des fusillés… des condamnés…
et le sang de ceux qui meurent comme ça… par accident. )


 

SAUF QUE,


 

Jésus ne demande à personne de verser son sang ou de se faire « une saignée » pour prouver une allégeance quelconque envers lui ( surtout quand on sait que Pierre le reniera et que Judas a déjà promis de le livrer) c’est lui qui s’engage, c’est lui qui scelle cette alliance envers « la multitude »…. sans qu’il ne lui soit rien demandé à elle, ... et il le fait en se donnant totalement, corps et âme : c’est son être de chair tout entier qui est garant de sa promesse. Les disciples n’ont fait que manger le pain et boire la coupe que Jésus leur avait offert sans savoir à ce moment- la signification qu'il allait leur donner.


 

Tout à coup l’expression « se donner en sacrifice » prend ton son sens…


 

Mais la manière dont Jésus le communique, n’est ni ostentatoire ni présomptueux : ce n’est pas par un discours ou une annonce qu’il le fait. En utilisant les symboles du pain et du vin, qui appartiennent aux rites du judaïsme, il fait preuve d’une grande pudeur et d' un refus de faire valoir le coût de son sacrifice tout en exprimant des sentiments d'amour si forts qu'ils en sont déchirants envers ses disciples et cette "multitude" inconnue!

 

Jésus révèle son identité profonde
 

Le Jésus que l’on a vu impatient, pressé, exigeant, distant parfois, capable d’opérer des miracles et des guérisons, de chasser les démons et de tenir tête à ceux qui viennent le confronter, pas sentimental pour deux sous, révèle tout à coup, d’une manière à la fois forte et pudique la profondeur de son amour pour eux « et les multitudes ». Il révèle à ce moment-là son identité de « Sauveur».  Il est celui qui sauve  au prix de….sa vie. Son nom ( Jeshua en hébreu, Dieu sauve » ) colle parfaitement à son identité. En faisant le don total de sa personne sans qu’on ne lui ait rien demandé. c’est un acte volontaire sans attente de retour ou de reconnaissance qu’il annonce. Le mot sacrifice pour qualifier la démarche de Jésus prend toute sa valeur de radicalité dans ses paroles qu’il prononce. Ce n’est pas un acte liturgique (même s’il le deviendra après) On ne peut pas se méprendre sur leur signification même si ce n’est qu’après coup !


 

Bouleversant!


 

« Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »


 

Jésus insiste qu’il s’agit bien de sa mort dont il parle et que ce repas est son dernier. Il n’y a pas de méprise possible .


 

Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. 


 

Pas de réaction donc de la part des disciples qui nous est rapporté. Comme il est de coutume pour un repas juif rituel, le repas se termine par un psaume. On reste bien dans le cadre traditionnel d’un rite juif mais avec Jésus au centre . C’est ça qui est l’essentiel et que rien d’autre ne vient distraire. La demande n’est pas faite ici qu’ils revivent ce moment « en mémoire de lui » même si de nouveau, l’affirmation de Paul dans la lettre aux Corinthiens, atteste que ce moment était rappelé au cours des repas célébrés par les premiers chrétiens.


 


 

* * *


 


 

Ce texte est incontournable dans la révélation de l’identité de Jésus sans pouvoir tout autant en sonder la profondeur. Sa sobriété et le fait que les paroles et les gestes de Jésus y soient présentés sans réaction, sans analyse, sans commentaire mettent en relief la radicalité de ses propos et du symbole qui les accompagne : ce que j’y découvre, ce n’est pas l’origine d’un rite qui deviendra essentiel dans les célébrations des chrétiens, mais le moment sacré où Jésus fait connaître son identité comme le Messie sauveur, le Messie serviteur, le Messie sacrificiel.

 

Ce qui me frappe, c’est qu’il soit inscrit au cœur du judaïsme ( ce qui ne devrait pas me surprendre !) et ce qui m’émeut c’est ce mélange de retenue quand Jésus parle de son sacrifice en même temps qu’il donne à travers le symbole du pain et du vin, corps brisé et sang versé, une image crue, poignante et réaliste de ce qu’une mort humaine cruelle signifie...avec le corps torturé, vidé de son sang, laissé à mourir lentement, qui est le sort de tellement de victimes de violence et qui sera aussi le sien... L’expression que j’avais entendu tellement de fois du « sacrifice de Jésus » cesse d’être une formule suspecte devenue larmoyante à force d'être répétitive, et reprend maintenant tout son sens et tous ses droits dans le contexte de ce repas partagé avec ses disciples la veille de son arrestation.


 

Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. »

Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous.

Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. »


 


 

P.S : la version de Paul dans l’épître aux Corinthiens : « Car j'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné; c'est que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,et, après avoir rendu grâces, le rompit, et dit: Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous; faites ceci en mémoire de moi. De même, après avoir soupé, il prit la coupe, et dit: Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez. Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. »

 


 


 


 


 

 


 

Tag(s) : #Etude de l'évangile de Marc, #semaine sainte
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