Désolée mais il y a un peu de pub au début!
Le 17 juin, Auvergne,2021
Marc 12:28-34
Du débat au dialogue
Un des scribes, qui les avait entendus discuter, sachant que Jésus avait bien répondu aux sadducéens, s'approcha, et lui demanda: Quel est le premier de tous les commandements?
Jésus répondit: Voici le premier: Écoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l'unique Seigneur;
et: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force.
Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là.
Le scribe lui dit: Bien, maître; tu as dit avec vérité que Dieu est unique, et qu'il n'y en a point d'autre que lui,
et que l'aimer de tout son coeur, de toute sa pensée, de toute son âme et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c'est plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices.
Jésus, voyant qu'il avait répondu avec intelligence, lui dit: Tu n'es pas loin du royaume de Dieu. Et personne n'osa plus lui proposer des questions.
Cette fois-ci, le commentaire de l’évangéliste sur la personne qui interroge Jésus, quoi que succinct, n’indique pas une attitude hostile envers lui mais une approbation de sa réponse avec les Sadducéens, étant donné que les pharisiens contrairement à eux croyaient en la résurrection.. Il donne l’impression quand même, quand il interroge Jésus, qu’il le fait comme un professeur le ferai à un élève pour vérifier s’il a appris sa leçon et sera capable de donner la bonne réponse. Cependant Jésus n’en prend pas ombrage et répond directement à sa question ( une fois n’est pas coutume!)
Le Shema
Et la réponse de Jésus, est une déclaration de foi juive, ou plutôt la déclaration de foi juive par excellence: c’est le « Shema » qui est au cœur de l’identité du peuple d’Israël , prière fondatrice qui doit être récitée deux fois par jour, le matin et le soir, et qui ouvre toutes les autres prières. Qui plus est, aujourd’hui on raconte encore des récits de martyrs juifs qui au moment de la prise de Jérusalem torturés par les romains, ou plus tard dans les geôles de l’inquisition, et finalement dans les camps d’extermination continueront à réciter cette prière avant de mourir pour prouver leur attachement à leur foi….
Écoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l'unique Seigneur;
( C’est l’équivalent de ce que disent les musulmans dans l’appel à la prière avec la même valeur de déclaration de foi mais après avoir proclamé la grandeur de Dieu, il y a bien sûr un autre nom qui est proclamé, celui du Prophète Mohamed, ce qui en fait une religion à part)
Le « notre »Dieu, met en relief un droit de prérogative, d’exclusivité presque du peuple juif sur Dieu une manière de dire ou de se dire en le récitant : on est privilégié de le connaître et surtout de l’avoir pour Dieu...ce n’est pas donné à tout le monde…même si cette appartenance a pu leur valoir de nombreuses souffrances…
( j’ai lu un très bel article sur comment les juifs peuvent-ils continuer à aimer Dieu après la Shoa :https://www.chabad.org/library/article_cdo/aid/1567327/jewish/Eternal-Love-Understanding-Tisha-BAv.htm
C’est la question que se pose l’auteur à l’occasion de la fête qui rappelle les souffrances du peuple juif :
Can I really recite words of undying love with the memory of past lamentations pounding in my heart, compounded by the suffering of the present?
Where is the affection, where is G‑d’s compassion and concern for His cherished nation
Puis-je vraiment réciter les mots d’amour indestructible en me rappelant des lamentations passées qui battent dans mon coeur et les souffrances du présent ? Où est l’affection, où est la compassion et la sollicitude de D pour sa nation bien-aimée….
[...}
Bleeding in the Colosseum and tied to the stake, Jews died with the Shema on their lips; they found comfort in knowing that some members of their nation would survive and inevitably build a new cheder to transmit to the next generation G‑d’s law and eternal love.
Saignant dans le Colisée, attaché au poteau, les Juifs sont morts avec la « shema »surles lèvres. Ils ont été réconfortés sachant que des membres de leur nation survivraient et construiraient un nouvel heder et transmettraient à la génération suivante, la loi de Dieu et son éternel amour
This is a uniquely Jewish phenomenon. Ultimately, this is what makes us Jews
C’est un phénomène uniquement juif. Finalement c’est ce qui fait de nous des juifs)
Un Dieu pas comme les autres
Ici vraiment la judéité de Jésus est incontournable. Autant il a refusé de décliner son identité quand on lui a demandé avec quelle autorité il parlait, autant ici il ne s’esquive pas et répond ce qui l’identifie comme juif entre les juifs : il réaffirme les liens étroits entre Dieu et son peuple. Mais évidemment il y a beaucoup plus que cela, le commandement qui accompagne cette déclaration d’aimer Dieu est ce qui fait le caractère unique de ce Dieu révélé à Israël et le rend différent de tous les autres dieux particulièrement des autres dieux alentours malgré tous les comparatismes que l’on fait essayant d’en diminuer le caractère unique et que Jésus met en exergue.
Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force.
C’est un Dieu qui même si on ne doit pas prononcer son nom, est intimement personnel et fondamentalement relationnel et pas du tout rationnel : on est sur un autre plan, dans différents paradigmes, ce Dieu là n’est pas le Dieu des idées, le Dieu des philosophes, un Dieu dont on discute l’existence ou la raison d’être, ou même le caractère et les caractéristiques dans les salons ou dans les amphithéâtres, c’est un être auquel on donne (ou pas) son allégeance totale.
Il y aurait tellement à dire là-dessus ! Cette déclaration de la loi juive, répétée et résumée ici par Jésus est tellement riche de sens qu’elle est inépuisable, à la fois dans ce qu’elle dit sur le caractère de Dieu mais aussi sur qui nous sommes et pour nous qui croyons que c’est Lui, l’unique.
Aimer son prochain : une approche raisonnée
Et alors vient le deuxième commandement lui bien pragmatique et compréhensible, et qui a priori pourrait exister sans le premier :
Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là.
Je dis bien a priori car le contraste devrait être clair : on ne doit pas aimer son prochain (ni quoi que ce soir d’autre) de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée, et de toute sa force.….., ce serait dangereux : on en deviendrait l’esclave, le dépendent, la chose, le souffre douleur, la victime. Le drame c’est quand on accorde à un autre être humain, que ce soit un proche, mari, mère, grand frère, enfant que ce soit un lider politique ou un lider spirituel tout son être, en remettant son intelligence et ses émotions entre ses mains, on est conduit a faire des œuvres injustes, pour leur plaire et on leur donne le pouvoir pour nous manipuler et nous aveugler.
Mais on le fait tous à un moment donné et les conséquences peuvent en être catastrophiques pour le monde quand on se soumet à des autorités corrompues et injustes sans sourciller et les conséquences peuvent être catastrophiques pour nous personnellement quand on se laisse manipuler et aveugler par celui qu’on admire et qu’on vénère et qui devient un sauveur pour nous...et la déception, l’amerture quand on se rend compte qu’on s’est fait avoir peut nous détruire à jamais...
Ce n’est que quand on donne à Dieu toute son allégeance, que l’on peut aimer son prochain « comme soi-même » sainement, en toute liberté, sans risque d’idolâtrie lui accordant la même attention et affection dont on aurait besoin mais sans la nocivité qui conduit au drame : je t’aime tant que je te tue ou je me tue parce que je ne peux pas supporter que tu sois à un autre, ou que tu ne m’appartiennes plus, ou parce que je ne peux pas vivre sans toi….
L’allégeance totale à Dieu, le seul rempart contre les relations personnelles toxiques, les dérives sectaires et totalitaires.
* * *
L’échange entre le scribe et Jésus termine bien : ils se séparent en se démontrant appréciation et respect : Jésus reprend la main de la conversation en félicitant le scribe pour avoir compris quelles étaient les valeurs du royaume. Se terminent là, les récits de débats dans lesquels Jésus est engagé pour retourner à des enseignements de facture plus classique . Jésus a démontré son statut de maître ou de rabbin, par son habilité à débattre mais aussi par sa connaissance parfaite de la loi juive qu’il est capable de citer pour en donner l’esprit et la substance.
On parle souvent des béatitudes comme de la carta magna de l’évangile, mais dans cette scène Jésus fait un énoncé clair et fondamental de la religion juive dans laquelle est enraciné le christianisme. Encore une fois le sens de ses deux commandements retenus par lui est tellement riche qu’on ne pourrait prétendre l’épuiser en quelques lignes, il faut toute une vie mais aussi la réflexion et le vécu de générations après générations de croyants pour pouvoir arriver à en sonder la profondeur. C’est pourquoi le psalmiste nous dit bien :
« La loi de l’Éternel est parfaite, elle restaure l'âme; Le témoignage de l’Éternel est véritable, il rend sage l'ignorant. Les ordonnances de l’Éternel sont droites, elles réjouissent le cœur; Les commandements de l’Éternel sont purs, ils éclairent les yeux.… »
Et devant, nous dans ce texte de l’évangile se tient Jésus, le fils bien-aimé, qui la résume parfaitement pour empêcher que l’on en détourne le sens…
P.S. Pour un site francophone du judaïsme sur le Shema ( je l’ai vu écrire avec un S ou un C en français) https://www.massorti.com/Shema-Israel. Ce n’est pas le seul, il y en a d’autres évidemment