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Une rencontre ratée


 

Le 2/4 mars 2021, la Virginie


 

Dans le calendrier liturgique, on s’avance à grands pas vers Pâques.., on n’y est pas encore dans cet évangile mais ça viendra bientôt....et pour ce qui est des actualités ici, c'est plutôt calme  : les élections sont passées, le nouveau président n’envoie pas des tweets à tout bout de champ et l’ancien est toujours banni de la « tweetosphère » On est en période de jeûne, ça tombe bien !


 

Marc 10 : 17-23


 

Comme Jésus se mettait en chemin, un homme accourut, et se jetant à genoux devant lui: Bon maître, lui demanda-t-il, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?

Jésus lui dit: Pourquoi m'appelles-tu bon? Il n'y a de bon que Dieu seul.

Tu connais les commandements: Tu ne commettras point d'adultère; tu ne tueras point; tu ne déroberas point; tu ne diras point de faux témoignage; tu ne feras tort à personne; honore ton père et ta mère.

Il lui répondit: Maître, j'ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse.

Jésus, l'ayant regardé, l'aima, et lui dit: Il te manque une chose; va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens, et suis-moi.

Mais, affligé de cette parole, cet homme s'en alla tout triste; car il avait de grands biens.

Jésus, regardant autour de lui, dit à ses disciples: Qu'il sera difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le royaume de Dieu!


 


 

Une rencontre inopinée


 

Bon maître, lui demanda-t-il, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?


 

On voit défiler dans cet évangile toutes sortes de personnes qui s’approchent de Jésus parce-qu’elles ont une requête particulière pour elles-mêmes ou pour un de leurs proches. On vient de voir la demande que Jésus touche ou bénisse des enfants à laquelle il accède avec plaisir, malgré les réticences de ses disciples. Cette fois-ci c’est un homme qui se jette à ses pieds : première fois qu’on voit un tel geste, première fois que Jésus est qualifié de bon, première fois aussi que la demande n’est pas matérielle mais spirituelle, une rencontre donc qui est rapportée parce-qu’elle sort de l’ordinaire.


 

(Même si ce n’est que plus tard que l’on saura qu’il est riche, je ne peux m’empêcher de penser que sa question en est une évidence : il n’a pas de nécessité matérielle pressante, il a donc tout le loisir de se poser des questions spirituelles comme celle de la vie éternelle…)


 

L’auteur ne met pas en doute la bonne foi de cet homme ( il n’y a pas de commentaire comme pour le divorce où il est dit que la question était pour l’éprouver) mais la question que lui pose Jésus peut sembler une remise en cause du qualificatif de « bon » et a suscité de nombreux commentaires : exprime-t-elle la surprise, est-ce un reproche ou une affirmation qu’il a vu juste en lui attribuant des qualité divines? La question de la divinité de Jésus n’étant jamais très loin, certains y ont vu une manière de confirmer ou au contraire d’infirmer son égalité avec Dieu…


 

Le plus naturel, dans ce contexte, me semble-t-il est tout simplement la surprise de se voir qualifier aussi généreusement par cet inconnu, l’obligeant par sa question à peser les mots qu’il a peut-être dit à la légère pour s’attirer les bonnes grâces de Jésus, une manière de lui dire : tu penses vraiment ce que tu dis quand tu m’appelles bon maître ? Surtout, considérant comme il sera noté plus tard que son apparence a dû mettre en évidence qu’il s’agit d’un homme riche, sa surprise pouvait venir du fait qu’il appartenait à un milieu qui lui était généralement plutôt hostile.


 


 

Les critères de Jésus pour la vie éternelle


 


 

Tu ne commettras point d'adultère; tu ne tueras point; tu ne déroberas point; tu ne diras point de faux témoignage; tu ne feras tort à personne; honore ton père et ta mère.


 

Il est intéressant de noter que les commandements que Jésus cite ont tous à voir avec des règles de vie. Les premiers, en tout cas dans le texte de l’Exode qui affirment la suprématie de Dieu, l’interdiction de faire des images, de ne prononcer son nom qu’avec respect et d’observer le sabbat, ne sont pas mentionnés, peut-être parce-qu’ils sont une évidence, tellement normatifs pour un juif qu’il n’est pas besoin de les rappeler. Seuls ceux concrets et relationnels, qui indiquent ce qu’il faut ou ne faut pas faire sont inclus dans la liste.

 

(Dans cette liste ce qui a frappé beaucoup d’exégètes est le fait que Jésus a ajouté à la liste, μὴ ἀποστερήσῃς ce qui est traduit en français, " tu ne feras tort à personne"  et qui n’est pas inclus dans le décalogue. Il a été suggéré que cette liste pourrait provenir de Malachi 3:5 « Je m'approcherai de vous pour le jugement, Et je me hâterai de témoigner contre les enchanteurs et les adultères, Contre ceux qui jurent faussement, Contre ceux qui retiennent le salaire du mercenaire, Qui oppriment la veuve et l'orphelin, Qui font tort à l'étranger, et ne me craignent pas, Dit l'Eternel des armées » Selon cette interprétation, Jésus pourrait insinuer que la richesse pourrait être acquise au détriment des plus vulnérables ce qui serait un acte condamnable pour un homme riche comme lui)


 

En tout cas, Jésus ne fait pas de qui il est le critère de l’accès à la vie éternelle ni de la reconnaissance de son identité mais d’une éthique de vieC’est le rapport à autrui qui prime, non le rapport à Dieu qui lui est donné comme acquis.


 

Jésus l’aima


 

Une autre remarque étonnante : on a vu Jésus exprimer de la compassion pour les foules, de l’admiration pour la foi des femmes qui l’ont approché pour la délivrance ou la guérison d’un de leurs proches , mais c’est la première fois qu’il est parlé de l’amour de Jésus pour un individu particulier.


 

On peut en tirer toute sorte de conclusion, mais l’auteur, une fois de plus est sobre : il ne propose pas de commentaire.


 

Ce qui me semble le plus naturel, (sans aller chercher midi à 14 heures) est que Jésus a apprécié de rencontrer quelqu’un qui n’était pas satisfait de la manière dont il vivait, même si comme sa réponse le montre, il était un bon juif qui obéissait aux commandements et aurait été considéré comme un homme de bien : il voulait lui aller plus loin. La sincérité de son désir , sa soif d’absolu ou de perfection, d’une générosité plus grande a certainement plu à Jésus.


 

Jésus répond donc à sa requête en lui disant que s’il veut vraiment aller plus loin, il peut devenir un de ses disciples : mais comme il l’a déjà fait auparavant il met la barre très haut et dans son cas, sachant que cet homme avait de nombreux biens, il lui demande de les vendre tous.


 

Il te manque une chose; va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens, et suis-moi.


 

 

Cette demande à ce stade du récit ne paraît pas étonnante de la part de Jésus : on retrouve l’exigence d’une conduite exemplaire et sacrificielle qu’il demande à ses disciples, avec l’interdiction du divorce énoncée plus haut, être prêt a mourir et à porter sa croix et bien d’autres encore qu’il a mentionné après l’annonce de sa passion à venir. Ce qui est différent c’est qu’avant, il s’adressait à ses disciples ou à des personnes qui appartenaient à un milieu socio-économique beaucoup moins favorisé et donc n’avait pas eu besoin de parler de la richesse : on ne peut pas renoncer à ce qu’on n’a pas. Mais, on est face maintenant à une personne dont on ne connaît pas le nom et pour lequel l’unique caractéristique que l’on aura est qu’il était très riche.


 

En lui demandant de vendre ce qu’il a et de le donner aux pauvres, Jésus lui a révélé ce que cet homme a priori généreux ne savait pas lui-même: qu il était attaché au mode de vie confortable et agréable que lui permettait ses richesses plus qu'il ne l'imaginait. On aurait tort de dire que c’est parce-qu’il était matérialiste : ça donne une fausse idée de ce que signifie la richesse, ce n’est pas tant le plaisir de la possession comme on la voit dans l’Avare de Molière, il n’était pas avare...mais être riche permet d’avoir une vie facile.


 

Quand on y réfléchit, être riche, contrairement à ce que l’on pense généralement, ce n’est pas seulement avoir de l’argent dans la banque, c’est ne pas avoir à se préoccuper pour le lendemain, (comme Jésus sait être la préoccupation de ceux que l’entourent, raison pour laquelle, il inclut la demande du pain quotidien dans le Notre Père) On a la sécurité du lendemain, on sait qu’on aura de quoi manger, on sait qu’on aura de quoi boire, on sait qu’on ne risque pas de se faire expulser de son domicile, on sait qu’on pourra avoir accès au meilleurs soins médicaux, aux meilleurs écoles pour ses enfants… on sait qu’on n’aura pas à travailler dans des conditions difficiles de l’aube à la tombée du jour sous le soleil brûlant ou la pluie battante..., on sait qu’on pourra payer quelqu’un pour faire les tâches quotidiennes difficiles ou répétitives… et la liste pourrait être encore plus longue...Vendre ses biens, c’est se retrouver sans ces sécurités basiques qui facilitent la vie.


 

Mais, affligé de cette parole, cet homme s'en alla tout triste; car il avait de grands biens.


 

On peut comprendre le refus du jeune homme mais aussi sa tristesse et sa déception. On comprend qu’il n’ait pas envie de tout quitter pour suivre Jésus, ce prédicateur itinérant et sa bande de va-nu pieds, qui ne savaient d’où leur viendrait leur prochain repas… Mais sa tristesse, sa déception c’est aussi de découvrir ses limites, de perdre ses illusions sur lui-même : il se croyait mieux que ça, il était conscient qu’il lui manquait quelque chose que ses biens matériels ne pouvaient lui offrir : mais la barre était trop haute. Jésus ne lui a pas offert de demie-mesure, c’est tout ou rien… dans cette Palestine du 1er siècle, suivre ce Jésus qui allait être crucifié, c’était prendre des risques que Jésus ne voulait pas lui cacher !


 

Dans cette optique, on peut comprendre aussi la remarque de Jésus quand le jeune homme renonce à le suivre :


 

Jésus, regardant autour de lui, dit à ses disciples: Qu'il sera difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le royaume de Dieu!


 

Quand on a tout, on ne voit pas l’intérêt d’entrer dans le royaume de Dieu, on a besoin de rien, on a même pas besoin de Dieu lui-même  : de le prier pour demander son pain quotidien car il est toujours assuré, on n’a pas besoin de le supplier de nous faire justice, car on a les moyens de payer les meilleurs avocats, on n’a pas besoin de venir à Jésus pour être guéri, car on a les meilleurs médecins, on n’attend pas le bonheur dans la vie éternelle car on l’a déjà dans la vie réelle. Quand on a rien ou pas grand-chose, c’est plus facile car d’une certaine manière on n’a rien à perdre et tout à gagner. (Et c’est d’ailleurs l’argument qu’utilise les détracteurs de l’évangile : et c’est parce qu’on ne peut pas tenir seul sur ces deux pieds qu’on se tourne vers la religion….On invente Dieu parce-qu’on a besoin de lui... )


 


 

Une rencontre ratée


 

Devant cette scène, qui sonne tellement vraie maintenant que je la relis,  j’ en oublie pour un moment tous les sermons qu’elle a pu suscité sur la question des maux de la richesse et des vertus de la pauvreté, il me semble découvrir ce qu’elle était d’abord : le récit d'une belle rencontre  mais d'une rencontre avortée.


 

Une rencontre entre un homme, riche en l’occurrence et que Jésus aima car il voit le potentiel dans cette personne avide d’une vie autre que celle qu’il mène… mais qui pourtant ne peut lâcher prise et Jésus, l’intransigeant qui reste fidèle à lui même ne baisse pas la barre: même s’il aime le jeune homme riche, il ne lui court pas après pour lui dire qu’il y a été un peu fort, que c’était une manière de parler, qu’il ne voulait pas dire ça, qu’il pouvait quand même venir... Il n’oblige personne à le suivre, avec lui c’est toujours à prendre ou à laisser.


 

Finalement, cette belle rencontre du début entre deux personnes différentes mais qui ont su s’apprécier le temps de croiser leur chemin, ce n’est pas une scène à la hollywood où tout finit bien, c’est une histoire qui termine mal:  ils ne poursuivent pas la route ensemble, ils repartent chacun de leur côté...


 

Une rencontre ratée en quelque sorte ; et c’est pourquoi, elle m’émeut particulièrement car la vie, c’est comme ça quelquefois…


 

P.S. Mais heureusement, l’histoire ne s’arrête pas avec cette opportunité manquée...


 

Tag(s) : #Etude de l'évangile de Marc
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