Le 18 février 2021, la Virginie
Marc 10:14-16
On lui amena des petits enfants, afin qu'il les touchât. Mais les disciples reprirent ceux qui les amenaient.
Jésus, voyant cela, fut indigné, et leur dit: Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent.
Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n'y entrera point.
Puis il les prit dans ses bras, et les bénit, en leur imposant les mains.
Interruption bénie
Après, l’enseignement public sur le divorce et ses éclaircissements sur le remariage en privé pour répondre aux disciples, des enfants font interruption dans le récit. Où était Jésus à ce moment là ? Était-il en chemin, où était-il encore dans la maison qui est juste mentionnée ? Ou est-ce que l’incident rapporté ici ne s’est pas passé juste après cet enseignement ? Le texte ne le dit pas.
En réalité, peu importe !
Ce qui compte plutôt, c’est qu’on a déjà vu Jésus dans une scène précédente prendre et mettre un enfant au centre de sa prédication, un geste quelque peu inhabituel. Par contre, on avait aussi noté qu’il n’était pas inhabituel que l’on demande à un rabbin, de bénir des enfants, et ici c’est ce que le texte suggère :
On lui amena des petits enfants, afin qu'il les touchât.
Le texte ne dit pas qui a amené les enfants, mais on peut facilement imaginer que c’était des femmes qui naturellement voudraient que leurs enfants soient « touchés »par un homme qui avait la réputation d’avoir un don de guérison et d’expulsion des démons...quelle mère ne cherche pas à protéger ses enfants et ne rate pas une seule opportunité de les voir s’approcher d’un homme que l’on dit envoyé de Dieu pour les libérer de toutes sortes de maux présents ou à venir, (le mauvais œil y compris)? Attitude superstitieuse, diraient certains mais que Jésus ne censure pas et on retrouve ici l’autre Jésus, pas celui intransigeant qui reprend ses disciples, mais le Jésus compatissant, tendre qui accueille ceux qui sont normalement relégués au second plan et n’ont pas le droit au chapitre (à prendre littéralement ici si on en croit l’origine religieuse de cette expression)
Et ces deux Jésus, en quelque sorte, se retrouvent présents dans cette scène...car effectivement il reprend ses disciples pour avoir rabroué non pas les enfants mais les personnes qui les ont amenés (je n’avais pas remarqué auparavant que c’étaient ceux qui les avaient amenés qui étaient l’objet des foudres des disciples, pas les enfants).
Encore une fois les disciples ont le mauvais rôle, mais leur réaction est tellement naturelle dans ce contexte : des femmes avec des enfants bruyants sinon braillards ou pleurnicheurs ne sont pas vus comme des interlocuteurs dignes de s’approcher de leur maître Jésus. Désir de le protéger de personnes importunes? Plus vraisemblablement, étant donné le portrait qu’il est fait d’eux, une tentative de contrôler ceux qui veulent l’approcher révélant leur plaisir coupable d’avoir l’exclusivité d’un accès direct à sa personne.
Mais Jésus n’est pas la propriété des disciples, et il le leur fait savoir une fois de plus: c’est lui qui décide où il veut aller, quand il est temps de renvoyer une foule ou de lui donner à manger ...et c’est lui qui décide qui a le droit de s’approcher de lui.
Jésus, voyant cela, fut indigné, et leur dit: Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas;
Herméneutique tendancieuse ou aparté féminine
Et là je ne vais pas hésiter à faire une lecture sinon féministe, mais en tout cas féminine du texte car la réaction des disciples, si elle était facilement compréhensible dans le contexte culturel de la Palestine du 1er siècle, elle est encore d’actualité dans beaucoup de lieux où l’évangile est prêché...2000 ans après...
On ne peut pas être mère avec des enfants en bas âge et ne pas être profondément émue et réconfortée par cette réaction d’indignation de Jésus et ses paroles d’accueil chaleureux à leur égard. Il reprend les disciples, et il a bien raison : d’abord ils voulaient que ce soit possible de prendre une nouvelle épouse après avoir répudié la première, maintenant ils veulent dépêcher femmes et enfants aux oubliettes...
On connaît toutes, la difficulté de devoir faire tenir des enfants en place pendant un culte religieux ou une messe et de devoir en plus se payer les regards réprobateurs des gens qui se retournent parce que les petits osent faire du bruit et interrompre leur train train tranquille du dimanche matin... On n’a qu’une envie c’est que le sermon termine promptement, qu’il y ait beaucoup de chants et de cantiques pour couvrir leurs cris éventuels, que les temps de prières soient réduits au minimum ( à moins qu’on ne soit dans une église pentecôtiste ou tout le monde prie en même temps et à haute voix) et on attend la fin avec impatience pour pouvoir les laisser gambader en paix...
Je ne dirai pas que ces moments qui se veulent de célébration de la communauté sont un chemin de croix pour les mères, (heureusement, maintenant les pères s’ils sont là sont plus réactifs qu’avant) mais ils ne sont certainement pas une joie : les enfants en bas âges sont bruyants, généralement agités et certains particulièrement turbulents, pas du tout souriants et silencieux comme on les montre sur les belles photos des revues féminines et des portraits des familles de la royauté…
( je dois reconnaître qu’à l’heure qu’il est, il y a beaucoup de communautés chrétiennes qui ont fait un effort pour que les enfants trouvent leur place mais ça n’empêche pas….les regards courroucés de certains membres de la congrégation quand ce n’est pas du prédicateur dont on ose perturber le sermon bien ficelé... le problème c’est que les cultes/messes sont dans des espaces fermés et pas à l’air libre…. Pourtant si j’ai des mauvais souvenirs de moments tendus pour essayer de faire taire des enfants bruyants, j’ai aussi des bons souvenirs quand j’ai été dans des lieux où on leur laissait libre cours, dans des cultes quechuas par exemple où les mères en plus allaitaient une ribambelle d’enfants sur les bancs de derrière sans que ça gêne qui que ce soit…En tout cas, c’est toujours avec un plaisir malin, que j’aime citer ce passage de l’évangile quand les gens se plaignent des enfants qui perturbent les cultes religieux…)
Un retournement complet de nos valeurs et nos hiérarchies
Alors, je ne voudrais quand même pas pour autant passer sous silence les implications théologiques profondes de l’enseignement de Jésus quand il affirme :
Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n'y entrera point.
Pourtant, en tant que femme, ce n’est pas la leçon théologique que je retiens de ce passage, mais cette réaction impromptue de Jésus devant une interruption d’enfants qui au lieu de le déranger, devient l’occasion d’une leçon sur les valeurs du Royaume. Et pour une fois, sa réaction d’indignation envers ses disciples, ne me paraît pas choquante ou malheureuse… un trait de caractère à déplorer...mais au contraire une valorisation inattendue des personnes qui avec leurs enfants sont généralement exclues de la prédication de la bonne nouvelle.
L’ interruption au milieu de tâches ou d’activités que l’on considère sérieuses et importantes est la marque de fabrique des enfants ( une marque quelque fois particulièrement pénible, surtout en ces temps de pandémie où les femmes font du télétravail et essaient en même temps de les surveiller) et la réaction de Jésus dans cette scène rapportée qui fait irruption dans le récit remet en cause un ordre hiérarchique et un système de valeur plus sûrement et plus clairement même que ses paroles sur le sujet. On aurait tort de ne pas s’y arrêter, même si ce ne sont que deux versets qui sont coincés entre deux enseignements qui semblent plus importants dans la formation des disciples : l’un sur le mariage et l’autre qui viendra après sur la richesse.
Faut-il ajouter que comme souvent, c’est dans le contexte d’un événement du quotidien que Jésus donne ses plus belles leçons ?
( et on laissera les exégètes décider si c’est le rédacteur de l’évangile qui crée l’interruption du récit ou tout simplement le quotidien de Jésus et de ses disciples)
En tout cas, pourquoi ne pas le dire… on lit toujours l’évangile avec sa propre grille d’interprétation, que l'on veuille l'admettre ou non !