Le 6/8 octobre 2020, Virginie
Marc 7: 14-23
Des interruptions
L’automne est revenu et je ne le regarde pas assez : je suis passée en voiture devant trois arbres aux feuilles magnifiques mais je ne me suis pas arrêtée...dans mon jardin. Les feuilles des arbres sont encore très vertes mais quelques unes sont déjà tombées mais elles ont l’air desséchées.
Finalement mon rythme de lecture de cet évangile n’est pas aussi étrange ou inapproprié que cela paraît: le texte n’a pas été écrit tout d’une traite, ni ceux qui ont suivi Jésus, n’ont reçu son enseignement en une seule journée continue, entre temps, ils sont retournés à leurs occupations habituelles...Inscrire la lecture de cet évangile dans mon quotidien au lieu de le regarder seulement comme un tout littéraire, est le rendre plus proche de ce qu’il était : une prédication par épisode sur le chemin, une lecture pondtuelle, quand les paroles sont devenues texte, au cours d’une réunion de nouveaux convertis juifs et non juifs, (pas un séminaire d’une semaine où l’on ne ferait que ça)
Le texte et la prédication de Jésus ont cette caractéristique qu’ils sont des faits interrompus, interrompus par le déroulement du temps, interrompus par les nécessités du quotidien, interrompus par les allées et venues de Jésus autant que de la foule...ils n’étaient pas du tout abordés comme on les aborde aujourd’hui comme un tissu uni d’événements, un flot continu de paroles ou d’enseignements qui auraient été dictés en un seul jour sans qu’on prenne le temps de s’arrêter pour manger, pour travailler ou saluer ses voisins.
Jésus n’a pas écrit un texte… il a parlé et vécu une existence, un destin, qui après est devenu texte. et cette continuité du texte qu’est l’évangile est trompeuse car elle donne l’impression d’un objet qui existe par lui-même et coupé de la réalité, produit dans un monde atemporel alors qu’il était inséré dans un contexte particulier (ce qui ne l’empêche pas d’avoir une portée universelle, bien entendu).
Bref, on est en automne 2020, je suis en Virginie aux USA, on est encore en pandémie et l’actualité ici , c’est la campagne présidentielle avec un président, hors norme pour le meilleur ou pour le pire, mais de plus en plus pour le pire...Je ne peux pas faire semblant de lire l’évangile de Marc comme si je vivais dans un monde en dehors du temps et de l’espace…pas besoin de m’excuser de faire des réflexions sur le monde dans lequel je vis…
Marc 7: 14-23
Ensuite, ayant de nouveau appelé la foule à lui, il lui dit: Écoutez-moi tous, et comprenez.
Il n'est hors de l'homme rien qui, entrant en lui, puisse le souiller; mais ce qui sort de l'homme, c'est ce qui le souille.
Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende.
Lorsqu'il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l'interrogèrent sur cette parabole.
Il leur dit: Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui du dehors entre dans l'homme ne peut le souiller?
Car cela n'entre pas dans son coeur, mais dans son ventre, puis s'en va dans les lieux secrets, qui purifient tous les aliments. Il déclarait ainsi que tous les aliments sont purs.
Il dit encore: Ce qui sort de l'homme, c'est ce qui souille l'homme.
Car c'est du dedans, c'est du coeur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les impudicités, les meurtres,
les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, la folie.
Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l'homme.
L’art de clore un débat
Jésus vient de terminer sa confrontation avec les pharisiens après qu’ils aient critiqué ses “chers” disciples qu’il a défendu avec brio ...dans une contre-attaque cinglante. Il se tourne ensuite vers la foule qui était venu le voir.
Intéressant de voir comment il clôt son débat avec les pharisiens et ne se laisse pas empêtrer dans des discussions qui seraient vaines et qui de cette manière les laisseraient monopoliser la conversation. Il a dit ce qu’il avait à dire, maintenant, il va retourner à ce qui est sa vocation première, qui n’est pas de pinailler sur la loi avec les scribes mais répondre à l’attente de la foule qui est venu le voir.
( je ne peux pas m’empêcher de penser au dernier débat entre Trump et Biden où le premier a passé son temps à attaquer le second lequel s’est tourné finalement vers la caméra pour parler aux téléspectateurs, ignorant son attaquant…question de stratégie)
Ensuite, ayant de nouveau appelé la foule à lui, il lui dit: Écoutez-moi tous, et comprenez.
Il n'est hors de l'homme rien qui, entrant en lui, puisse le souiller; mais ce qui sort de l'homme, c'est ce qui le souille.
Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende.
Il y a vraiment une leçon importante ici dans la manière dont Jésus se comporte envers ses détracteurs car il est tellement facile de dépenser toute son énergie à défendre son point de vue théologique qu’on en oublie ceux à qui on doit annoncer la bonne nouvelle. C’est tellement évident quand on surfe les sites chrétiens pour obtenir des renseignements sur un auteur ou un livre publié, où l’on ne trouve que des mises en garde car l’auteur n’adhère pas aux principes théologiques étroits de l’auteur ou de son organisation chrétienne.
Jésus n’évite pas la confrontation mais une fois qu’il a dit ce qu’il avait à dire, il fait en réalité ce qu’il a dit aux disciples de faire quand ils ne seraient pas reçus dans une maison, « secouez la poussière de vos sandales », n’insistez pas...continuez votre chemin…il y en a d’autres qui eux sont prêts à entendre.
De la nature de l’impureté
On retrouve ensuite un Jésus impatient et des disciples obtus mais on leur en est gré car on a des clarifications que l’on n aurait pas eues si ça n’avait pas été le cas.
Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui du dehors entre dans l'homme ne peut le souiller?
Malgré tout l’impatience de Jésus continue à être un peu gênante dans une conception d’un Jésus parfait (sans péché) où l’impatience envers les autres est un défaut que si l’on est catholique on va confesser au prêtre mais que catholique ou pas, on se reproche toujours surtout avec les siens. Je dois avouer que je ne peux m’empêcher de sourire quand je lis les commentaires d’évangile où l’on essaie de justifier ou d’excuser l’impatience de Jésus pour qu’il ne perde pas son auréole d’homme gentil et donc parfait…
En tout cas, l’argumentation de Jésus sur l’impureté qui suit va très loin car elle remet en cause le bien fondé de tous les rituels religieux ( et ils existent dans toutes les religions) qui consiste à croire que laver une partie du corps est suffisant pour être pur et ainsi se présenter devant Dieu ou peut être qu’il serait plus juste de dire, qu’il conteste leur efficacité et leur validité : ils ne servent à rien si le cœur n’y est pas. Un rite de pureté externe ne crée pas magiquement une pureté interne et on en revient a l’hypocrisie religieuse qui utilise les signes de religiosité pour donner le change.
(alors évidemment ça remet en cause toute une théologie du sacrement mais je ne veux pas entrer là-dedans…)
Mais en tout cas il y a quelque chose de radical souligné par le commentaire de l’évangéliste quand il tire de l’explication de Jésus la conclusion suivante :
Il déclarait ainsi que tous les aliments sont purs.
En effet l’impureté des aliments fait partie des enseignements de la Torah ce qui a fait dire à certains exégètes que cet enseignement ne pouvait remonter vraiment à Jésus y voyant plutôt un argument des nouveaux convertis qui ne voulaient pas être liés par les lois rituelles de la Torah. Pourtant, on a déjà vu Jésus se comporter comme quelqu’un ayant autorité sur la Torah (dans le pardon des péchés) il n’est donc pas si étonnant que cela qu’il puisse affirmer la non souillure des aliments même si c’est bien l’évangéliste qui déclare que tous les aliments sont purs et pas Jésus . En tout cas, ce genre de déclarations explique une fois de plus pourquoi Jésus s’attire tout naturellement les foudres des pharisiens.
De la liste de péchés virtuels...
L’épisode se termine par une liste de ce que peut être l’impureté et la liste est longue. Pour ceux qui cherchent toujours à savoir ce qui est péché et ce qui ne l’est pas ( pour se juger soi-même, mais aussi pour condamner les autres), il y a de quoi faire. On pourrait si on était intéressé par ce genre de choses chercher la définition de chaque mot ( en français, en grec, en hébreu, an araméen) pour savoir exactement de quoi il s’agit...mais cette liste n’est certainement pas exhaustive et de la part de Jésus, elle est surtout rhétorique et pédagogique..il veut faire comprendre aux disciples ce dont il s’agit et on imagine bien que les disciples auraient dit à la fin de cette liste : bon, maintenant on a compris.
Mais a-t-on compris ?
On ne peut pas quand même passer sous silence cette liste parce que c’est Jésus qui l’a faite. Et ce sont des thèmes qui font couler beaucoup d’encre et occupent beaucoup de place dans les enseignements et débats religieux. Il est évident que dans la liste figure des impuretés ( le concept que Jésus utilise ici ) de type sexuel ( adultéré, impudicité) et Dieu sait ce qu’on a pu écrire là-dessus ce qui n’a pas empêché les scandales ponctuels et récurrents dans ce domaine. À part les questions sexuelles, la liste pas très sympathique parle de fautes qui sont plus ou moins étroitement liée aux 10 commandements ou en tout cas qui ne surprendraient pas ses auditeurs versés dans les enseignements du judaïsme. Elle termine avec l’orgueil bien entendu et la folie (mot qu’il a fallu que j’aille consulter car il m’a intrigué) qui est plutôt utilisé dans le sens de déraison, de celui qui se croit plus intelligent ; une forme d’orgueil religieux peut-être que Jésus dénonçait chez les pharisiens.
Ce qui rend cette liste intéressante, c’est que Jésus dit que c’est dans le cœur de l’homme que commencent ces actes, autrement dit, c’est que l’acte répréhensible posé ne vient pas de circonstances ou conditions externes mais bien du dedans de nous :il énonce ce qu’il dira autre part d’une manière radicale que celui qui a désiré une femme est déjà coupable d’adultère et celui qui se met en colère et insulte son frère est déjà un meurtrier. Jésus, condamne le désir de l’acte qui n’est pas encore accompli ou consommé dirait-on, et l’avertit que s’il n’en reconnaît pas la nocivité , non seulement il trompe les autres mais il se trompe lui-même. Jésus, contrairement aux juges humains qui ne peuvent légiférer que sur les actes, lui peut révéler les cœurs.
(On fait beaucoup l’éloge du désir dans notre société mais rarement on reconnaît la nocivité de certains de nos désirs. Dans le cadre des accompagnements faits en église, la difficulté la plus grande des chrétiens c’est qu’ils puissent reconnaître avoir des désirs qui sont contraire aux enseignements de Dieu, adultère, désir de vengeance, et donc ne peuvent pas en être libérés...ce qui les conduit à toute sorte de conduites désordonnées et de faux semblants )
Ce qui souille l’homme est ce qui sort de lui !
La radiographie que Jésus fait du cœur humain n’est pas très réconfortante ni très réjouissante mais les prophètes ce n’est pas toujours très agréable à écouter non plus !
En tout cas, après cette lecture, vaut mieux faire profil bas : on n’a pas de quoi se vanter !