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Peinture de David Rogers, intitulée "got nothing"

Peinture de David Rogers, intitulée "got nothing"

17/18 juin, 2020, Virginie

 

(La question du racisme et les manifestations pour le dénoncer continuent à être au centre de l'actualité ici. ..mais en général, la situation se calme...on en est à la phase, récupération politique...ce qui est un peu dommage. Sinon, il fait frais...on a allumé le poêle!!!)

 

Après cet épisode d'expulsion de démons pour le moins déroutante en milieu gentil/païen...on retrouve Jésus et ses disciples de l'autre côté de la rive en territoire connu,... et on a le récit de deux guérisons miraculeuses qui sont finalement plus rassurantes, ou en tout cas plus dans la norme d'un Jésus, prédicateur itinérant que ce dialogue avec une légion de démons qui précipitait tout un troupeau de cochons dans la mer. 

 

Au lieu de suivre le déroulement naturel du texte ou va commencer par analyser, la deuxième guérison mettant entre parenthèses la première partie du récit pour l'aborder plus tard.

 

(pas besoin de revenir sur le thème du miracle ayant déjà parlé dans les chapitres précédents de tout ce qui concernait son importance, sa signification et les débats sur la question de son historicité. Il suffit de rappeler que ces épisodes sont vus comme des discours rapportés au sens large du terme, que l'évangéliste tient de témoins considérés comme fiables, mais qui d'aucune manière n'auraient été inventés pour les besoins de la cause...Même si on peut rester sceptique à leur égard on ne peut pas douter que l'évangéliste les ait rapportés parce qu'il  a cru qu'ils avaient eu lieu sinon ce serait faire violence au texte et à son authenticité)

 

 

Guérison d'une intouchable

 

(Jésus dans la barque regagna l'autre rive, où une grande foule s'assembla près de lui. Il était au bord de la mer. Alors vint un des chefs de la synagogue, nommé Jaïrus, qui, l'ayant aperçu, se jeta à ses pieds, et lui adressa cette instante prière: Ma petite fille est à l'extrémité, viens, impose-lui les mains, afin qu'elle soit sauvée et qu'elle vive. Jésus s'en alla avec lui. Et une grande foule le suivait et le pressait.)

 Or, il y avait une femme atteinte d'une perte de sang depuis douze ans.
 Elle avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs médecins, elle avait dépensé tout ce qu'elle possédait, et elle n'avait éprouvé aucun soulagement, mais était allée plutôt en empirant.
Ayant entendu parler de Jésus, elle vint dans la foule par derrière, et toucha son vêtement.
 Car elle disait: Si je puis seulement toucher ses vêtements, je serai guérie.
Au même instant la perte de sang s'arrêta, et elle sentit dans son corps qu'elle était guérie de son mal.
Jésus connut aussitôt en lui-même qu'une force était sortie de lui; et, se retournant au milieu de la foule, il dit: Qui a touché mes vêtements?
Ses disciples lui dirent: Tu vois la foule qui te presse, et tu dis: Qui m'a touché?
Et il regardait autour de lui, pour voir celle qui avait fait cela.
La femme, effrayée et tremblante, sachant ce qui s'était passé en elle, vint se jeter à ses pieds, et lui dit toute la vérité.
Mais Jésus lui dit: Ma fille, ta foi t'a sauvée; va en paix, et sois guérie de ton mal.

 

C'est la première fois dans cet évangile éminemment masculin ( je ne le dis pas d'une manière péjorative mais je constate que l'auteur étant un homme, il est normal qu'il soit écrit de ce point de vue) qu'une femme se trouve au centre du récit d'une guérison qui nous en dit long sur la condition et le statut de la femme... Alors que dans Luc ou même Jean, on a des personnages féminins qui sont mentionés dès le début (toujours d'ailleurs dans leur qualités de mère ou d'épouse) on en a jusqu'ici aucune chez Marc, à part la mention rapide de la belle-mère de Pierre, dont on n'a pas pu s'empêcher d'ironiser sur la guérison...

 

La question qui m'intrigue en premier lieu est celle de la source de cette histoire rapportée  car il me semble plausible qu'elle ait été une femme, peut-être même, la femme elle-même, sinon comment pourrait-on savoir les détails qui sont donnés de sa maladie et de sa recherche de médecins... et encore qui plus est, de ses pensées et ses émotions qui supposent une incursion dans son monde intérieur que l'auteur ne pourrait imaginer car il est douteux qu'elle  explique tout cela quand elle a pris la parole et "a dit toute la vérité" devant Jésus...


( je n'ai pas trouvé pour l'instant des études qui abordent la question d'une source proprement féminine de ce passage ce qui ve veut pas dire qu'elles n'existent pas)

 

Le deuxième aspect qui me frappe dans les détails de cette histoire est  qu'elle nous montre le statut d' infériorité extrême de cette femme dans la société et cela pour une triple raison: elle est femme, elle est pauvre et elle est impure à cause de sa perte de sang. Elle n'a donc aucun moyen d'avoir accès à Jésus et est  obligée  d'user de stratagèmes pour pouvoir s'approcher de lui, comme c'est le cas d'ailleurs pour toutes les personnes qui vivent à la périphérie et  n'ont pas accès au pouvoir.

 

Elle sait qu'elle n'a pas droit de parler à Jésus ni non plus de le toucher...mais pourtant elle risque le tout pour le tout ... et ceux qui dissertent sur le caractère superstitieux de son approche, ne comprennent pas les difficultés de ceux qui vivent aux marges de la société....  ce n'est pas parce-qu'elle était particulièrement superstitieuse et simplette qu'elle voulait toucher son manteau,  c'est parce-que c'était la seule manière qu'elle avait de s'approcher de lui...

 

Des femmes comme celles-là, débrouillardes et qui prennent des risques, j'en ai rencontré partout mais surtout dans des pays en guerre ou dans des milieux crève-la-faim et elles ont toujours suscité mon admiration...

 

Elle force aussi l'admiration de Jésus qui reconnaît  qu' il y a quelque-chose d'extraordinaire chez elle et fait l'éloge de sa foi,  devant ses disciples qui sont certainement surpris de voir cette femme tremblante et effrayée qui d'une manière incompréhensible vient d'être guérie...et peut-être que leur réaction nous permet de mieux mesurer a quel point l'attitude de Jésus est merveilleusement étonnante ... et détonne avec le milieu dans lequel il vit (et dans lequel nous vivons!). On a vu tellement dans cet évangile, jusqu'ici, un Jésus combatif, avec ses détracteurs autant qu'avec les démons qu'il chasse que son attitude de compassion envers une véritable Paria est autant bienvenue qu'elle est inattendue. 

 

Mais il y a autre chose encore de remarquable dans cette histoire de guérison de femmes, c'est qu'elle n'a rien à voir avec la maternité...on est habitué dans la Torah à voir des personnages de femmes désespérées parce qu'elles sont stériles et qui demandent d'être guéries car la seule dignité que peut obtenir la femme dans les sociétés traditionnelles c'est celle de la maternité. Or cette femme ne correspond pas a l'archétype ancestral de la femme-mère,  mais elle est la femme tout court dont la mention de ses pertes de sang qui définissent en quelque sorte son identité,  est en soi surprenante, car habituellement elle est presque tabou ouniquement associée à des considérations de pureté rituelle ( et il faut être femme pour comprendre à quel point ce cycle mensuel rythme et définit la vie des femmes).

 

D'ailleurs pour cette raison, certains commentaires féministes ont vu dans cet épisode un rejet des lois sur l'impureté des femmes mais il me semble que la lecture littérale du texte ne permette pas d'en arriver jusque là étant donné le caractère spontané de la rencontre et l'absence de commentaire de la part de Jésus sur la question. Cependan le fait qu'il ne lui ait pas reproché d'en avoir enfreint les règles en dit long sur son attitude envers ces lois .Ce qui est sûr est que l'attitude de Jésus  qui reconnaît à la femme une autre valeur que celle d'être une bonne épouse ou une bonne mère apparaît comme un regard éminemment moderne/féministe.

 


Finalement, ce qui est étonnant dans cette histoire c'est que Marc ait trouvé important de la rapporter dans son évangile. Pourquoi inclure l'histoire d'une pauvre femme au milieu d'une foule qui presse Jésus... pour montrer que son pouvoir  était tel qu' il pouvait guérir sans s'en rendre compte? qu'est-ce que Marc a voulu montrer, pourquoi l'a-t-il racontée (car il ne l'a certainement pas inventée)?  On peut imaginer ce que l'on veut...Comme à son habitude après avoir raconté la scène Marc n'en rajoute pas et nous laisse avec nos questions, mais il nous a fait un portait étonnement précis de cette femme qui reste anonyme...

 

*    *   *

 

Je ne peux m'empêcher de penser et de dire  que c'est un coup de génie d'intervention de l' Esprit Saint!!! (plutôt que de Marc lui-même! ) dans la rédaction du texte, qui a permis que l'histoire de cette femme qui est au bas de l'échelle sociale, puisse  apparaître ici interrompant celle de Jaïrus cet homme puissant qui lui peut parler à Jésus face à face (même s'il se prosterne devant lui). 

 

L' effet de contraste  entre les deux est saisissant rehaussant le fait que Jésus l'incarnation de qui est Dieu, le fils, comme l'appelle Marc, donne  la même grâce, la même attention aux humbles que celle que l'on réserve généralement uniquement aux puissants (et contrairement à ce que je ferai) ne rejette pas non plus la demande d'un puissant qui s'humilie en se prosternant de vant lui. Comme cette femme s'est faufilé dans la foule pour pouvoir toucher Jésus, cette histoire se faufile aussi dans ce récit pour que ceux qui la lisent encore aujourd'hui puissent découvrir la compassion envers tous de ce Jésus qui a parcouru la terre il y a deux mille ans...

 

(Pas besoin de discours politique sur l'égalité entre homme et femmes, pas besoin de déclaration tonitruante pour  les damnés de la terre, sauf que l'attitude de Jésus justifie le bien fondé des revendications d'égalité et de dignité pour eux...)

 

En tout cas, merci à cette femme anonyme pleine d'audace qui ressemble à tellement de femmes d'aujourd'hui!

 

(Et merci à tous ceux qui ont permis que son histoire puisse arriver jusqu'à nous...)

 

 

P.S: quelques lectures intéressantes en anglais https://www.researchgate.net/publication/240714395_A_Woman's_Touch_Feminist_Encounters_with_the_Hemorrhaging_Woman_in_Mark_524-34

Et cette étude très complète de Charles Amjad Ali https://www.workingpreacher.org/craft.aspx?post=1645

Tag(s) : #Etude de l'évangile de Marc
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