Mercredi 6 mai, 2020, la Virginie (pas la Palestine!)
En ces jours de pandémie où le mot d'ordre est incertitude ou angoisse, le passage qui suit sur Jésus qui calme la tempête, était le texte choisi pour le sermon de dimanche dernier: le culte protestant ( ou évangélique dirait-on en France...difficile de savoir dans quelle catégorie les mettre) se tenait dehors, chacun dans sa voiture, la vitre baissée , le pasteur derrière un micro, avec au lieu des amens habituels quelques coups de klaxon pour ponctuer le service..., une nouvelle liturgie, une église qui continue à se réinventer au cours des circonstances...
(Un sermon qui sonnait juste où la peur des disciples au milieu de la tempête avec un Jésus qui dormait, résonnait profondément pour les personnes qui étaient venues, inquiètes aussi, en proie au doute, forcées de voir la foi autrement qu'une expérience spirituelle que l'on vit dans un monde séparé de la réalité quotidienne, rassurés de voir que les disciples, ces pêcheurs palestiniens, pourtant si près de Jésus, étaient aussi inquiets qu'eux et s'étaient énervés quand ils avaient vu que Jésus dormait et avait l'air de ne pas se rendre compte du danger qu'ils couraient...)
Ce jour-là, le soir venu, Jésus leur dit: «Passons sur l'autre rive.» Après avoir renvoyé la foule, ils l'emmenèrent dans la barque où il se trouvait; il y avait aussi d'autres barques avec lui. Un vent violent s'éleva et les vagues se jetaient sur la barque, au point qu'elle se remplissait déjà. Et lui, il dormait à l'arrière sur le coussin. Ils le réveillèrent et lui dirent: «Maître, cela ne te fait rien que nous soyons en train de mourir?» Il se réveilla, menaça le vent et dit à la mer: «Silence! Tais-toi!» Le vent tomba et il y eut un grand calme. Puis il leur dit: «Pourquoi êtes-vous si craintifs? Comment se fait-il que vous n’ayez pas de foi?» Ils furent saisis d'une grande frayeur et ils se disaient les uns aux autres: «Qui est donc cet homme? Même le vent et la mer lui obéissent!»
La question qui se pose quand le passage n'est pas un sermon, mais une lecture plus critique, est tout autre: étant donné qu'ici Jésus cesse d'être un sage qui enseigne par parabole à ses disciples, et devient l'autre Jésus, celui qui fait des miracles... la question est de savoir, si l'événement n'étant pas naturel, s'est vraiment passé... ou que si cette histoire racontée est une espèce de parabole, de fable, une histoire symbolique ...inventée de toute pièce en quelque sorte.. pour rassurer les nouveaux chrétiens et dont l'unique valeur serait de fortifier leur foi...
La première partie du récit pourtant qui commence par "ce jour-là" et raconte les circonstances de l'événement, n'est pas présentée du tout comme une fable: les détails des circonstances qui sont données, "le soir venu" le Jésus fatigué après avoir renvoyé la foule, le fait qu'il était à l'arrière de la barque puisque ce n'était pas lui qui pilotait le bateau, dépeignent une scène tout à fait plausible dans le contexte décrit précédemment. Tout concourt à faire penser qu' à l'origine de ce récit est le souvenir de quelqu'un qui a vécu ce moment et dont les détails sont gravés dans la mémoire. L'absence de date précise ( le fait de ne pas être inséré dans une séquence de temps particulière) plaide pour une histoire rapportée à l'occasion d'une conversation ou d'un enseignement, pas dans l'élaboration d'une biographie bien ficelée.
On est vraiment dans le monde du possible au début de cette scène.
Ce qui fait problème évidemment, c'est la suite, non pas parce qu'elle représente une rupture avec le récit, ni avec la réaction des disciples qui passent de la peur...à la crainte au sens fort du terme devant ce que fait Jésus, mais par le langage de Jésus qui parle à la tempête comme à une personne qu'il menace et à laquelle il dit de se taire.
Au milieu de cette scène réaliste, on bascule dans le surnaturel, l'impossible ou la mythologie selon son point de vue.. Pour celui qui lit l'histoire, l'identité de Jésus tout à coup transcende l'entendement, interroge, oblige à voir en lui plus qu'un sage rassurant, même plus qu'un prophète ( et les prophètes sont bien connus dans l'ancien testament pour faire des miracles) La "grande frayeur" des disciples montre qu'on entre dans une autre dimension inconnue avec cet homme qui a un pouvoir hors norme et dont on ne sait plus que penser...(qui pourrait même être dangereux, tellement il est puissant)
Du coup, on remet en cause tout l'épisode!
(Face à cette histoire, les exégètes se divisent quand à son authenticité...si ce n'est pas possible que Jésus ou que qui se soit, commande aux éléments, et bien ce n'est pas possible que cet événement se soit déroulé.... il faut donc trouver une autre solution pour l'expliquer extérieure au texte qui lui, ne permet pas de mettre en doute la réalité de l'événement ...ou simplement ne pas se prononcer sur un fait qui se situe hors du texte)
L'autre raison pour laquelle cet épisode nous paraît irréel c'est à cause de la manière dont il a été prêché à travers les siècles. Comme le sermon que j'ai entendu dimanche, se sont greffés sur ce texte d'autres milliers de sermons (et aussi de représentations visuelles) où ce que le prédicateur met en exergue, c'est la leçon de confiance en Dieu, à tel point que le récit d' une tempête réelle apaisée passe au deuxième plan et apparaît être un prétexte pour parler d'autre chose ....comme d'un Jésus qui calme nos tempêtes intérieures. On cherche tellement à analyser la signification de l'épisode que l'on nie sa réalité ou qu'elle semble secondaire... et le Jésus qui domine sur les vents et les eaux en est escamoté...
Pourtant, pourrait-on faire un sermon sur la confiance en Dieu au milieu de nos tempêtes si on ne croyait pas vraiment que Jésus a commandé au vent et à la mer? Si on n' y voyait qu'une allégorie ?
En y réfléchissant bien, je ne crois pas sincèrement que ce serait possible...si on n'a pas de socle ferme pour dire qu'il y a des vrais raison de faire confiance à Jésus, tout le reste finit par s'écrouler... Car finalement, il faut croire en un Jésus qui est encore vivant aujourd'hui pour que ce passage soit l'occasion d'apaiser nos peurs et nos doutes...et que Jésus soit encore vivant aujourd'hui n'est-ce pas aussi fou ou improbable qu'il ait calmé la tempête?
Il y a un moment donné ou face à Jésus, il faut prendre position...
Pour une raison ou pour une autre, je vois dans ce passage se dessiner en filigrane la silhouette de Pierre. Pierre, un homme habitué aux tempêtes, qui connait la force des vagues et qui peut être était tout simplement furieux que Jésus dormait tranquillement pendant qu' eux ils s'efforçaient à vider l'eau du bateau qui se remplissait... n'y a-t-il rien de plus énervant que quelqu'un qui se la coule douce et qui ne met pas la main à l'ouvrage quand on se trouve au milieu du danger?
Il ne s'attendait certainement pas à ce que Jésus calme la tempête mais qu'il leur donne au moins un coup de main ... Tout ce que l'on peut lire de Pierre, homme impulsif et sans détour mais changé après avoir renié le Christ trois fois, rend facile d'imaginer qu'il n'hésiterait pas à relater l'épisode en insistant sur l'incrédulité et le peu de foi des disciples dont il faisait partie.
(on entend souvent dans les témoignages des convertis des récits qui insistent sur leurs fautes avant d'avoir rencontré Jésus)
Alors, tout à coup, Pierre s'est rendu compte de quelque chose au sujet de Jésus qui le remplit de crainte...
Et c'est ce regard envers Jésus, d'étonnement mêlé de crainte que je retiens de ce passage...c'est ce qui me semble qui sonne le plus vrai dans cette histoire et lui donne son sceau d'authenticité.
Quel est celui-la à qui le vent et la mer obéissent?
Étonnement? Peur? Incrédulité?
Il y a un moment ou face à Jésus, il faut prendre position.
P.S. J'ai trouvé intéressant un commentaire (dans Norma Hooker déjà cité) qui faisait allusion au fait qu'à l'époque on croyait qu'il y avait une divinité qui habitait dans la mer ...d'autant plus que je me souviens d'une femme kenyane qui m' avait expliqué qu'avant d'être chrétienne elle avait peur d'aller en bateau (alors qu'on traversait un lac) car elle pensait qu'il y avait un dieu/demon dans l'eau... Le pouvoir de Jésus sur la mer serait donc assimilé à celui qu'il avait sur les démons ce qui pourrait expliquer la similarité de son langage avec celui qu'il utilisait pour chasser les démons...Quelque soit le cas... l'identité de Jésus comme hors norme n'en est pas diminuée... elle n'en est que rehaussée...
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