Jeudi 16 avril 2020, La Virginie
(La pandémie continue, l'épicentre est en France mais il est passé aussi aux États Unis: les polémiques politiques continuent aussi avec la campagne présidentielle en vue..Le fait de suspendre les paiements des États-Unis à l'OMS de la part de Trump est criminel...Ça me désole vraiment....Un deuxième mandat de ce président serait catastrophique...Heureusement, le printemps avance aussi ....et surprise, un dindon sauvage a apparu au milieu de notre jardin...)
Le Jésus des paraboles
J'en arrive au 4 ème chapitre de Marc, division artificielle est-il besoin de le rappeler et le mot du jour, c'est "parabole"...un mot qui en tout cas est associé étroitement dans mon esprit avec Jésus, et qui ne devrait pas l'être d'une certaine manière non pas parce qu'il ne se soit pas exprimé en parabole mais parce-que...les paraboles comme un mode de communiquer des idées, des pensées, ou plus généralement des messages, n'est pas de son invention et ne devrait pas donner l'idée qu'elle lui appartient en propre.
Ce mode existe dans de nombreuses cultures, dont la culture juive et quelqu'en soit la modalité particulière le but est le même, enseigner les valeurs, les croyances et les comportements appropriés d'une communauté. Dans le monde de la littérature on parle d'allégorie, ce qui évidemment n'est pas exactement la même chose, mais relève d'une catégorie semblable. Elle permet d'éviter les écueils d'une rationalisation à outrance qui fige et limite les concepts de vérité et en fait des propositions à discuter plutôt que des valeurs à vivre
Dans ce sens, le Jésus des paraboles ne fait pas de lui un être exceptionnel, mais finalement un homme comme les autres, un peu au-dessus de la moyenne quand même, un sage, un maître à penser quelqu'un à admirer voire à révérer, ce qui nous permet d'éviter d'entrer dans le domaine du surnaturel, comme le serait celui de Jésus, fils de Dieu.
(c'est peut-être pour ça qu'il y a un consensus parmi tous les exégètes en ce qui concerne l'historicité de ses paraboles, à savoir qu'elles remonteraient bien au Jésus historique . Ca peut expliquer aussi l'engouement pour l'Évangile apocryphe de Thomas car il est essentiellement un recueil des paroles de Jésus, le Jésus, fils de Dieu y est totalement escamoté...)
Un Jésus dérangeant
Malgré tout , la présentation des paraboles et de leur valeur dans L'Évangile de Marc n'est pas si simple que ça... même si elle commence par un tableau qui nous est familier: le Jésus qui enseigne à une foule, debout sur une barque dont on en a des milliers de représentations... plus ou moins heureuses d'ailleurs..
" Jésus se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer. Une grande foule s'étant assemblée auprès de lui, il monta et s'assit dans une barque, sur la mer. Toute la foule était à terre sur le rivage. Il leur enseigna beaucoup de choses en paraboles,... et il leur dit dans son enseignement..."
Cependant c'est la première fois, dans l'Évangile de Marc que l'on va nous dire précisément ce que Jésus enseignait: avant le texte parlait de la réaction des personnes face à ses enseignements ( qu'il parlait avec autorité) ou rapportait ce qu'il disait à l'occasion d'un échange avec les scribes et les pharisiens, mais c'est la première fois qu' on est invité à s'asseoir et à écouter...
Écoutez! Un semeur sortit pour semer.
Comme il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin: les oiseaux vinrent, et la mangèrent.
Une autre partie tomba dans un endroit pierreux, où elle n'avait pas beaucoup de terre; elle leva aussitôt, parce qu'elle ne trouva pas un sol profond;
mais, quand le soleil parut, elle fut brûlée et sécha, faute de racines.
Une autre partie tomba parmi les épines: les épines montèrent, et l'étouffèrent, et elle ne donna point de fruit.
Une autre partie tomba dans la bonne terre: elle donna du fruit qui montait et croissait, et elle rapporta trente, soixante, et cent pour un.
Puis il dit: Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.
Lorsqu'il fut en particulier, ceux qui l'entouraient avec les douze l'interrogèrent sur les paraboles.
La parabole elle-même, est bien connue mais c'est la réaction de ses disciples et de ceux qui l'entouraient qui par contre est surprenante car si on réfléchit bien, on s'attendrait à ce que eux qui sont ses contemporains, ses coreligionnaires eux qui appartenaient à sa culture en comprendraient facilement le sens... (Il y a tout un pan de la recherche biblique, très intéressant d'ailleurs qui étudie la mentalité de ses hommes et ses femmes dans le but de nous aider à mieux interpréter le sens du message de Jésus...)
Or ceux qui entourent Jésus et les disciples l'interrogent...ils ont besoin d'une explication : le sens de la parabole n'est pas du tout évident pour eux...
Alors, comment ça se fait, qu'est-ce que ça veut dire?
La réponse de Jésus est à la fois rassurante et troublante
" Il leur dit: C'est à vous qu'a été donné le mystère du royaume de Dieu; mais pour ceux qui sont dehors tout se passe en paraboles, afin qu'en voyant ils voient et n'aperçoivent point, et qu'en entendant ils entendent et ne comprennent point, de peur qu'ils ne se convertissent, et que les péchés ne leur soient pardonnés."
La première partie de la réponse est plutôt rassurante car elle montre que comprendre le mystère du royaume ne relève pas d' une connaissance humaine particulière à laquelle seuls ses contemporains ou les érudits et les experts d'aujourd'hui auraient accès. Le critère il est autre, il est entre les disciples (ceux qui le suivent) et .... ceux qui ne le suivent pas de près, ceux-là, ne peuvent pas comprendre.
D'une certaine manière ça nous renvoie à ce que Jésus a dit précédemment sur sa famille, à savoir que ses vrais frères et soeurs étaient ceux qui faisait la volonté de Dieu et pas ceux qui y auraient droit grâce à un privilège donné à la naissance. Si donc le cercle des initiés est restreint, il ne dépend pas de conditions autres que celle d'une volonté propre de le suivre... pas une question d'appartenance familiale, sociale ou nationale...ce qui ouvre la porte à tous...
Cependant, la deuxième partie est troublante: si on comprend que l'accès soit restreint à ceux qui désirent le suivre, dire que ceux qui sont à l'extérieur ne sont pas inclus "de peur qu'ils ne se convertissent, et que les péchés ne leur soient pardonnés", ça c'est une toute autre histoire...(un peu comme quand Jésus dit qu'un certain blasphème ne sera jamais pardonné....)
Alors, qu'est-ce qu'on fait avec?
On fait ce que l'on fait toujours, on cherche dans les opinions des experts un commentaire, une explication qui rende son sens plus acceptable... (ce que j'ai fait d'ailleurs)... la première chose étant de trouver une traduction qui puisse permettre de se débarrasser de cette phrase encombrante avec son "de peur de" si inquiétant ...et si besoin est, on remonte à la version grecque derrière laquelle nous dit-on ( parce-que je ne connais pas le grec et ne suis pas une spécialiste) affleure l'araméen et qui permet d'introduire des variantes dans les traductions...
A vrai dire, malheureusement ces recherches n'ont pas été satisfaisantes (dans ce qui était à ma portée ) et j'aurai pu recourir à d'autres stratagèmes .... imputer cette phrase à des erreurs des copistes ou dire tout simplement que Jésus ne l'a pas dit....Mais je trouve que ce serait un peu malhonnête intellectuellement parlant et un peu trop facile...
Pourquoi ne pas laisser le texte intact avec ses ambiguïtés et ses questionnements et dire qu'il me gène?
Comme l'attitude de Jésus envers ses disciples...son impatience quand ils ne comprennent pas la parabole et qui nous rappellent (nous en France car aux États Unis ce serait interdit!) nos professeurs au ton humiliant quand on leur posait une question...l'air de dire...mais comme vous êtes bêtes! (quelquefois, ils se gênaient pas pour le dire tout haut!)
Il leur dit encore: Vous ne comprenez pas cette parabole? Comment donc comprendrez-vous toutes les paraboles?
C'est un mouvement d'humeur qui nous rend mal à l'aise étant donné qu' il ne cadre pas avec le Jésus parfait que l'on imagine...un Jésus qui s'énerve ou s'irrite va à l'encontre de notre théologie de la perfection...Il semble pourtant que pour l'auteur ça ne posait pas de problème, car il n'intervient pas pour défendre Jésus ou justifier son attitude... C'est nous qui devons alors réviser notre copie? ( il n'avait pas dû avoir de prof français Marc...alors c'est pour ça que ça ne l'a pas gêné)
Que c'est difficile de laisser Jésus tel quel et de ne pas le façonner à notre image, que c'est difficile aussi de laisser le texte tel quel et de ne pas l'amender ...
On en revient à la question de l'intégrité du rédacteur de l'Évangile qui nous rapporte ses paroles et nous le raconte: n'a-t-il pas eu lui aussi cette tentation, ce désir d' amender ce qu'il avait entendu dire pour les besoins de la cause ( on sait que les copistes eux l'ont eu) ?
Mais même si on ne veut pas douter de son intégrité, quelle était véritablement l'intention de l'auteur quelle était la théologie qu' il cherchait à démontrer car bien entendu , Marc a fait des choix dans ce qu'il a rapporté et dans la manière dont il l'a fait...des choix qui ne seraient pas les nôtres, si c'était à nous qu'il avait été demandé de rédiger cet évangile....? Est-ce qu'on aurait dessiné un autre portrait de Jésus?
( Tout à coup, j'y pense...sachant ce que ça veut dire d'écrire un article pour une revue...qu'est-ce que ça a représenté pour Marc de se mettre a rédiger cet évangile...comment y est-il advenu, a-t-il eu conscience de répondre à un appel de de Dieu, et s'il a vraiment connu Jésus, l'a-t-il fait par fidélité envers lui? Est-ce qu'il se doutait que ce qu'il rédigerait deviendrait un évangile canonique , un des textes fondamentaux du christianisme? C'est quand même fou de penser à tout cela, en tout cas, il s'est vraiment effacé derrière son texte...)
La providence divine
Pour se retrouver sur ses pieds, on ne peut que faire appel à cette notion vague et pourtant fondamentale de providence divine, en estimant que Dieu a choisi ce Marc anonyme ( je dis anonyme parce-qu'on n'en sait pas beaucoup sur lui) qu'il a inspiré parce-qu'il lui a fait confiance... de la même manière que Jésus a fait confiance à ses disciples qu'il a aussi choisis et qui pourtant.... n'y comprenaient rien à ses paraboles...
Nous aussi, on est obligé de leur faire confiance, on n'a pas le choix ...
(Qui croire? qui dit la vérité? J'en reviens là : on finit toujours par devoir faire confiance à quelqu'un)
P.S. Article intéressant sur les écrits de Thomas https://www.academia.edu/9843201/%C3%89vangile_de_Thomas_Actes_de_Thomas_Livre_de_Thomas._Une_tradition_et_ses_transforma-tions