Du samedi 14 décembre au mardi 17 décembre (déjà)
Ça fait drôle de vivre deux vies parallèles ou plutôt de vivre sur deux plans: il y a la vie de tous les jours tout entièrement tournée ces jours-ci vers tout ce que peuvent vouloir dire les fêtes de Noël (qui deviendront après les fêtes de fin d'année) et puis ce deuxième plan, celui de l'Évangile de Marc où sont racontés les faits d' un Jésus qui vit en Palestine et interpelle des scribes et des pharisiens sur la question du sabbat et dont les vies semblent tellement éloignées de toutes les lumières qui scintillent ici dès que je mets le pied dehors...
Pas de Noël qui soit, pas même d'embryon d'histoire dans cet évangile de Marc où l' on saute à pied joint au-dessus de toute histoire de nativité, de vierge fiancée à un dénommé Joseph, de naissance dans une étable, de bergers, d'étoile, d'anges qui chantent dans le ciel....inutile ou considéré comme secondaire, inintéressant, hors sujet?
L' histoire elle commence par des annonces moins spectaculaires, moins porteuses, celles de Jean qui prêche la repentance et Jésus qui apparaît, en adulte bien campé, pas en nouveau-né vulnérable, qui annonce un nouvel âge, une bonne nouvelle, en chassant les démons et en guérissant les malades....en affirmant son identité et son autorité sans ambages sans complexe.( la preuve c'est que contrairement aux personnes insécurisées qui recherchent l'approbation des autres, Jésus demande à ceux qui ont été les bénéficiaires de ses guérisons de ne pas parler de lui)
Pas de Noël pagano- chrétien donc, mais de sabbat bien enraciné dans l'identité juive, certainement!
Le sabbat
C'est en lisant le livre magnifique du grand théologien et penseur juif Abraham Heschel," God in search of men" que j'ai découvert toute la valeur et toute la beauté et l'importance du sabbat...L'auteur fait du commandement de garder le sabbat la pierre angulaire de l'identité juive, qui selon lui insiste sur le fait que Dieu est avant tout le créateur et le maître du temps, et qu' il a choisi le sabbat comme le lieu privilégié de sa rencontre avec l'être humain..
Dans l'optique de cette importance, la question de ce qui est autorisé à faire et à ne pas faire le jour du sabbat est un sujet d'importance cruciale dans la vie de la communauté juive et a donné naissance à de nombreux écrits rabbiniques sur le sujet au cours des siècles . Ce qui fait qu' étant donné notre tendance humaine à faire du légalisme à tout va (à faire comme les enfants et tester les limites d'une interdiction) cette question continue à etre discutée aujourd'hui dans le judaïsme....
Pour s'en persuader , il suffit de consulter les nombreux sites juifs sur l' Internet et à l' heure de la technologie et des réseaux sociaux, la question de savoir si on a le droit d'utiliser son smartphone le jour du sabbat par exemple est posée... et les réponses varient selon le groupe auquel on appartient du plus orthodoxe au plus libéral.( Dans cet article, la question de l'usage de la technologie et du populaire "whatsapp" est discuté d' une manière intéressante sur se site (https://www.hidabroot.com/article/193175/-I-Keep-Shabbat-But-I-Use-My-Cell-Phone-and-Computer. Mais pour des questions plus generales sur comment interpréter l'injonction de ne pas travailler ce jour là, on peut aussi consulter.. https://www.myjewishlearning.com/article/shabbats-work-prohibition/)
La discussion qui suit relaté dans le texte de Marc apparaît donc très typique et très normale danset si pour le jeûne la réponse était indifférente ou plutôt sans grande conséquence pour le sabbat c'est une autre histoire... On entre dans un sujet qui est au coeur du judaïsme.
Il arriva, un jour de sabbat, que Jésus traversa des champs de blé. Ses disciples, chemin faisant, se mirent à arracher des épis.Les pharisiens lui dirent: Voici, pourquoi font-ils ce qui n'est pas permis pendant le sabbat?Jésus leur répondit: N'avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu'il fut dans la nécessité et qu'il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui;
comment il entra dans la maison de Dieu, du temps du souverain sacrificateur Abiathar, et mangea les pains de proposition, qu'il n'est permis qu'aux sacrificateurs de manger, et en donna même à ceux qui étaient avec lui!
Puis il leur dit: Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat,
de sorte que le Fils de l'homme est maître même du sabbat.
Le texte commence par décrire un manquement des disciples à la règle du sabbat. N'importe quel juif un peu averti mais surtout pratiquant, saurait que ce que font les disciples du Christ, arracher des épis est du travail et donc n'est pas autorisé. Pour élaborer un peu plus là dessus les disciples "auraient égrené" pourrait-on dire des grains de blé (pour les manger semble-t-il insinué plus tard par Jésus quand il les défend), ce qui était interdit le jour du sabbat, car égrener/arracher les grains, plus exactement séparer le grain de son enveloppe ce que l' on faisait à la récolte et qu' on appelle "battre le blé" est bien du travail ...( mais si vous habitez à la campagne et que vous traversez un champ de blé, il est très possible que vous vouliez cueillir des épis et les égrener en enlevant la chappe pour en manger l'intérieur qui est plus tendre...)
Comme toujours, certains disent que l'épisode ne remonte pas à un événement mais qu' il est créé de toutes pièce pour prouver au lecteur à l'intention duquel ce texte est écrit qu' il n'a pas besoin de garder le sabbat.... car que ferait des pharisiens dans des champs de blé ce jour là...d'autres disent le fait qu' il était plausible que les disciples et Jésus traversaient des champs de blé car quoique les longs déplacements soient interdit, on pouvait parcourir une certaine distance..et qu'ils auraient pu rencontrer des pharisiens en chemin pour la synagogue..Bref, on a déjà commenté sur ce genre de polémique...
Ici, dans le texte, il y a peu d'indications précises sur le lieu ou la discussion s'est tenue, la phrase indiquée donnerait l'idée que les pharisiens étaient là et les ont surpris au moment où ils arrachaient les épis de blé , mais comme ce n'est pas l'habitude de Marc d'élaborer ou d'expliquer, il est possible que ce ne soit pas simultané et que la discussion se soit déroulée après qu'ils aient traversé le champ. Mais ce n'est pas ce qui retient l'attention de l'auteur..
Pour moi , il est intéressant de noter qu' une fois de plus ce n'est pas Jésus qui fait l'objet de leur critique car il n'est pas dit que lui arrachait des épis.. mais de ses disciples mais que Jésus les défend et ne les désavoue pas, ce qui est un trait de caractère remarquable ...et on voit se profiler déjà l'image du bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis dans sa réaction...( j'anticipe)
Jésus leur répondit: N'avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu'il fut dans la nécessité et qu'il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui;
comment il entra dans la maison de Dieu, du temps du souverain sacrificateur Abiathar, et mangea les pains de proposition, qu'il n'est permis qu'aux sacrificateurs de manger, et en donna même à ceux qui étaient avec lui!
La défense de Jésus commence par un argument biblique en citant les écritures ce qui semble aussi naturel. Mais là, il y a un petit hic...car pour défendre ses disciples Jésus ne cite pas exactement les écritures ou les cite mal...selon le texte que l'on a aujourd' hui en tout cas... ce qui est un peu gênant...car il se trompe dans le nom du sacrificateur. Voilà la citation "exacte" ? dans le livre de Samuel:
"David répondit au sacrificateur Achimélec (alors que Jésus cite Abiathar, o crime lèse-majesté): Le roi m'a donné un ordre et m'a dit: Que personne ne sache rien de l'affaire pour laquelle je t'envoie et de l'ordre que je t'ai donné. J'ai fixé un rendez-vous à mes gens. Maintenant qu'as-tu sous la main? Donne-moi cinq pains, ou ce qui se trouvera. Le sacrificateur répondit à David: Je n'ai pas de pain ordinaire sous la main, mais il y a du pain consacré; si du moins tes gens se sont abstenus de femmes!…"
Alors comme vous pouvez imaginer ce genre d'erreur a suscité une myriade d'explications plus ou moins plausibles mais dont le but avant tout est d'être en harmonie avec la théologie des écritures que l' on peut avoir ou de la conception de ce que signifie la divinité de Jésus...( Jésus n'a pas dit ça, c'est Mark qui s'est trompé, si on pense que la divinité de Jésus rend impossible qu' il se trompe mais que la bible elle comprend des erreurs...si on pense que la bible ne peut pas se tromper que dans l'original ce n'était pas mentionné et que le copiste zélé a changé le nom...bref...ou qu' il y a une erreur dans la Torah.....comme on ne sait pas, on peut imaginer ce que l'on veut)
En ce qui me concerne... je me souviens toujours qu' on est dans une prise de parole orale (Jésus n'a pas laissé de texte écrit) et qu'on n' avait pas chez soi un rouleau de la Torah que l'on pouvait consulter pour voir les détails de chaque verset (ou encore moins l'internet) et que c'était trop long pour l'apprendre par coeur (le Coran est plus court), mais surtout que ce à quoi Jésus fait allusion n'est pas un commandement mais une histoire ou un récit que l' on a pas besoin de citer au pied de la lettre...Et peut-être que dans Palestine du 1er siècle le nom de Abiathar était plus connu que celui de Achimelec... Bref
(pour être honnête,j'aime bien l'idée d' un Jésus qui n'était pas un étudiant hors pair en histoire sainte et qui au milieu d' un discussion ait oublié le nom du sacrificateur surtout que moi, quand il s'agit des noms je suis une championne pour me tromper..je confonds même le nom de mes enfants...mais bon je n'ai plus 30 ans)
C'est encore notre mentalité du XXI ème siècle où l' on doit citer verbatim qui nous joue des tours surtout quand on écrit une thèse ou un article et que l'on doit mettre la référence exacte avec le numéro de la page la date de la publication etc...et qui nous rend obsessif pour ce genre de choses et nous fait passer complètement à côté de l'essentiel...mais au cas où l'on se détournerait de ce qui est important, Jésus élargit sa réponse et encore une fois persiste et signe...
Puis il leur dit: Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat,
de sorte que le Fils de l'homme est maître même du sabbat.
Jésus coupe court donc à toutes les discussions auxquelles on serait tenté de se livrer avec des citations bibliques ( comme sur les réseaux sur les sites internet où les pasteurs se battent à coup de citations bibliques pour défendre leur point vue sur un sujet ou sur un autre) et qui dit en gros vous n'avez rien compris...le problème est autre part.
Jésus énonce un principe qui est au centre de cet épisode et est fondamental car il nous libère de tout légalisme religieux stérile: ce qui est premier, ce n'est pas le commandement mais l'être humain et la volonté de Dieu est que ce commandement soit une bénédiction pour 'homme et pas une charge de plus. Ce faisant, il s'oppose directement aux castes de leaders religieux et les empêche d'exercer un pouvoir de contrôle sur les gens par leur connaissance supérieure des écritures, en se faisant les porte parole de Dieu ou son interprète privilégié pour ce qui est autorisé ou pas autorisé...
Mais ce n'est pas tout ce que Jésus dit...il réitère ce qui est dit depuis le début de cet évangile," J'ai autorité", il a le droit de dicter ses propres règles...car il est le Fils de l'homme et que donc, lui contrairement aux autres il a d'accréditation nécessaire, celle qu'il a reçu le jour de son baptême venant directement de Dieu...pour dire ce que doit être le sabbat et ce qu'est sa raison d'être...
(alors évidemment (encore) qu'est-ce-que que Jésus voulait dire quand il parlait de fils de l' homme ...autre grosse discussion là-dessus..entre ceux qui disent qu'il parlait de lui et ceux qui disent, qu'il parlait de n'importe quel homme...bref, on s'en sortira jamais si on passe son temps à lire les discussions sur chaque versets...après un certain temps, c'es saoulant et on a envie de tous les ignorer...surtout quand au fur et à mesure ils sont prévisibles...)
Une fois de plus, cet épisode qui s'adresse aux leaders religieux juifs de la Palestine du 1er siècle, s'adresse aujourd' hui aux leaders de l'église chrétienne et on ferait bien dans nos discussions sur ce qui est permis ou ce qui n'est pas permis ou plutôt ce qui est péché et ce qui n'est pas péché de relire cet épisode pour savoir de quel côté on se retrouve....et malgré notre tendance à faire des pharisiens des repoussoirs, on est souvent de leur côté.
Ici c'est le Jésus anti légaliste, anti "religious establishment" qui fait son apparition...comment les églises ont-elles pu faire les croisades contre les hérétiques en les brûlant au bûcher (aujourd' hui on le fait virtuellement à travers les réseaux sociaux) pendant des siècles?
De quoi faire un examen de conscience permanent....
P.S Comme c'est Noël, il fallait faire de la brioche...ouf, Une bonne chose de faite!